Dictionnaire de géopoétique

Eléments puisés dans l’œuvre fondatrice de Kenneth White

Voyage-Voyance,

Voyageur-Voyant

 

 

Définitions

 

"Dans une série de livres, La Figure du dehors, Une Apocalypse tranquille, L'Esprit nomade, j'ai essayé (il s’agit en effet d’essais, un genre explorateur) de dégager l'espace de cette littérature-là et de dresser la généalogie d'une sorte de récit de voyage d'un type nouveau, qui pourra bien sûr prendre plusieurs formes, adopter plusieurs tonalités, selon la personnalité des écrivains. En anglais, je l'ai appelé waybook, en allemand Wegbuch, et en français, faute de la possibilité d'un terme aussi court : voyage-voyance. Dans tous ces termes, en plus de la notion de voyage, il y a la notion de voie (ligne de vie) et de voir (percevoir un autre espace, ouvrir d'autres dimensions). S'il n'y a pas cet autre espace, cette autre dimension, on ne sort pas de l' « universel reportage » que stigmatisait déjà Mallarmé", PAN, p. 180 et suivantes.

 

"Comme le disait déjà Rimbaud, un des premiers voyageurs-voyants de la modernité, « viendront d'autres horribles travailleurs »", AT, p. 178.

 

 

voir Livre, Waybook

 

 

Principales occurrences

 

AT, p. 178, p. 201 ; EN, p. 252 ; FD, p. 11 ; PA, p. 151 ; PAN, p. 180 ; PC, p. 53, p. 93, p. 166 ; RB ; RBL, p. 83


Citations

"Cela dit, il y a dans cet essai un souffle qui se sent dès les premières lignes, avec l'évocation du paysage : celui de la péninsule armoricaine que traverse le voyageur-voyant", PA, p. 151.

"J'essaie [...] de faire trois genres de livres, et je vois mon travail comme une sorte de flèche. La pointe, c'est le poème. La tige, ce sont les livres existentiels : Les Limbes incandescents, Dérives, Le Visage du vent d'est. Ce sont des itinéraires, des voyages-voyances*, des autobiographies, des romans sans les ficelles, sans le romanesque. Les pennes, c'est la théorie, les essais, une manière de penser que j'essaie d'exprimer conceptuellement, théoriquement, abstraitement. Je ne privilégie pas l'une ou l'autre partie, l'ensemble fait un tout", Fanal, p. 6.

"Le voyage-voyance taoïste n'est pas un voyage pour aller quelque part, pour atteindre un but, c'est un va-et-vient incessant et sans intention", AT, p. 201.

"Il y a beaucoup de choses à découvrir, à partir du moindre signe, sur la culture picte, la culture celte, la vie des Vikings… Pour cela, bien sûr, il faut être sur le qui-vive. Voyager, pour moi, c'est bouger, certes, et j'aime le mouvement, mais c'est aussi savoir voir. C'est pour cela que je parle de voyages-voyances", PC, p. 53.

"Pour tous ceux, pour toutes celles que tente le dehors, pour la tribu des voyageurs-voyants, pour le grand fleuve et la côte fracturée, pour le monde* multiple retrouvé", RB, exergue.

 

Commentaires

White a utilisé le terme waybook* dans le contexte français pour désigner les livres caractéristiques de ce qu’il nomme voyage-voyance gardant ce dernier terme pour désigner certains livres romantiques : "Je pense à ces « voyages initiatiques » (le terme est de Marcel Brion) que sont Anton Reiser de Karl Philip Moritz, et Les Errances de Franz Sternbald de Ludwig Tieck, sans oublier le Voyage dans le bleu du même Tieck", EN, p. 252.

 

Cheminement critique

Michel DUCLOS : "Ces lignes rejoignent un autre aspect du romantisme qui intéresse White : la littérature de ce qu'il appelle « voyage-voyance », telle qu'on la trouve, par exemple chez Tieck (Voyage dans le bleu) : "Le voyage va du moi au soi, des rapports socio-personnels étroits au grand rapport avec l'univers, c'est un mouvement qui part de l'ignorance et de la confusion pour aller vers une lecture cosmopoétique* du monde." (EN, p. 252)", KW, p. 91 ; MOKW, p. 74, p. 212.

Waybook,

Transcendental Travelogue

 

 

Définitions

 

De l’anglais, littéralement livre-de-la-voie

 

"Tout en traversant des territoires, à l'horizontale, si je puis dire, ces livres cherchent à découvrir des chemins de culture occultés par l'histoire, des pistes de pensée (un lieu, un moment, peut être l'occasion, non d'une vague réflexion, mais d'une percée de l'esprit), et des sentiers du sentir, où jaillissent les sensations les plus fraîches possibles : « à chaque pas le vent pur », comme dit le koan zen*. Sous le voyage, il y a toujours la voie (waybook - livre de la voie, non seulement livre de voyage) - mais d'une manière discrète", EB, p. 79.

 

"Mais quels qu’en soient les sédiments, les dépôts, la géologie, il s’agit bien là, et éminemment, d’un livre-de-la-voie (waybook) tel que j’ai essayé de le définir à plusieurs occasions : autre chose que de la « littérature de voyage », un autre ordre d'écrits, celui des voyageurs de l'esprit, des pèlerins du vide", AE, p. 55.

 

 

voir Flèche, Livre

 

 

Principales occurrences

AE, p. 55 ; EB, p. 79 ; EN, p. 252, p. 264, p. 266 ; LCGT, p. 69, p. 71 ; PAN, p. 180 ; SP, p. 160 ;PG, p. 92-93, p. 95


Citations

"C'est cette ligne autobiocosmographique que l'on peut suivre dans mes livres, surtout dans les livres de prose (les waybooks, les livres-itinéraires)", LCGT, p. 69.

"Tous ces livres-voyages (waybook, en anglais ; en allemand Wegbuch), comme j'aime les appeler, afin d'éviter le côté trop solennel et hautement institutionnalisé du mot « initiation », traversent une topographie à la fois réelle et symbolique pour aboutir à cette « complétude » dont parle Hölderlin et qui est présentée la plupart du temps mytho-géographiquement sous des noms comme « Eldorado », « Orient », etc. Le voyage va du moi au soi, de rapports sociopersonnels étroits au grand rapport avec l'univers, c'est un mouvement qui part de l'ignorance et de la confusion pour aller vers une lecture cosmopoétique* du monde*. Mais plus importante encore que la destination de ces livres est leur méthode. Tout au long du chemin, du déroulement du processus, ils visent à propager le sens de ce qui est ouvert et fluide, ce qui ne se laisse définir en aucune formule", EN, p. 252.

" […], il fallait d’abord se mettre en route, entrer dans le grand espace. C’est le propos de ce que j’appelle le waybook", PG, p. 92. 

 

Commentaires

En 2004, White a consacré une conférence à la généalogie du waybook, (Les chemins de la complétude) dans le cadre des XIXème Journées de psychiatrie de Fontevraud.

 

Cheminement critique

"Pour Kenneth White, le waybook (livre-itinéraire), est la mise en pratique existentielle et actualisée de « l'idée du voyage zen ou disons du voyage méditatif (tabi : voyager sans but et sans raison) » qui « était de 'se laisser aller avec les feuilles et le vent', de dériver, sans attaches (hoge) ». Cela impliquait de vivre dans le fuga (fu : le vent ; ga : le beau), c'est à dire avec le sens de la beauté éphémère", Véronique PORTEOUS, Iconoclasme, espacement, dépouillement, ADKW, p. 45. "White pratique le waybook plus qu'il ne discourt sur lui. Le terme lui-même est l'aboutissement de tentatives lexicales telles que livres de « voyage-voyance* », « livres de la route* », « livres du chemin* »... qu'il prend bien soin de distinguer de la littérature occidentale du voyage. Le waybook s'en distingue en ce que la frontière entre le dedans et le dehors est effacée ; on se trouve en présence d'une totalité discontinue et dynamique du monde, du « moi-monde », où la notion classique de réalité est remplacée par celle de topologie", Michèle DUCLOS, KW, p. 202. Voir aussi Tony McMANUS : De la fiction au livre-itinéraire*, KWG p. 39-44 ; MOKW, p. 74-75.

 





Wild Coal,

Charbon sauvage

 

 

Définition





Littéralement « charbon sauvage »

 

"Le club des étudiants d’anglais publie son premier livre de poèmes, qu’il intitule Wild Coal (« charbon sauvage » — terme technique désignant le charbon le plus rare, celui qui contient le plus d’énergie, souvenir de ses lectures en géologie)", extrait de la biographie en ligne du site www.kennethwhite.org.

 

 

voir Terre de Diamant

 

 

Principales occurrences

PC, p. 94 ; Cosmose, p. 7



Citation

"C'est à Paris, en 1963 (j'y vivais depuis 1959), que mon premier livre est sorti. C'était une petite édition et il s'intitulait Wild Coal. Pierre Leyris a découvert ce livre et m'a proposé d'y ajouter des essais, au sujet de ma « mythologie personnelle ». Le livre est sorti en 1964 au Mercure de France, sous le titre En toute Candeur", PC, p. 94.

 

Commentaires

Pierre Leyris, éminent traducteur, fait entrer de son vivant le jeune White dans sa collection Domaine Anglais du Mercure en publiant en 1964 le recueil En toute Candeur. Dans la préface de l'ouvrage, il évoque l'effet que produisit sur lui la lecture de Wild Coal : "L'an dernier, par un geste assez touchant envers leur lecteur, les étudiants de la Sorbonne publiaient en anglais les poèmes de Kenneth White. Dès que j'eus ouvert la plaquette blanche où s'envolait un goéland, mon cœur bondit de joie. Depuis bien des années, aucun poète contemporain, peut-être, n'avait chanté si clair à mon oreille, ni si bien rendu la grâce poignante des choses premières", ETC, p. 9.

 

Cheminement critique

"Son tout premier livre s'intitule Wild Coal (« Charbon sauvage »). Ce titre n'est pas une simple métaphore poétique. White en donne la définition lui-même : "Le charbon sauvage, c'est un terme technique signifiant le charbon le plus rare, celui qui contient le plus d'énergie (Cosmose, n°10-11, printemps 1980, p. 7). On remarquera la logique dynamique des titres de ses livres : de Wild Coal il passe, quelques années plus tard, à Terre de diamant*, du noir au lumineux. On est sorti du tunnel, du souterrain obscur. Mais c'est toujours le même chemin. Et c'est toujours la même matière fondamentale que l'on travaille : le charbon de base est simplement passé à un stade supérieur", Michèle DUCLOS, KW, p. 296.

Zen

 

 

 

Définition

 

"En plus de la vastitude de l'Inde, il y a dans le Zen cette vigueur, cette précision que l'on trouve dans le haïku. Cela ne signifie pas qu'il ne faut plus écrire que des haïkus ou que l'on doit entrer dans un monastère bouddhiste. Je ne suis nullement un « zenifiant ». Le Zen a été un merveilleux passage, une grande éclaircie", PC, p. 80.

 

 


voir Celtaoïste, Haïkuïté, Haïkulturel, Mahamudra, Surnihilisme

 

 


Principales occurrences

AMB, p. 22-23 ; AT, p. 79, p. 83, p. 84, p. 184, p. 187, p. 197-201, p. 220 ; CS, p. 47, p. 50-51, p. 56-58, p. 79, p. 89 ; EB, p. 62, p. 79, p. 86 ; EN, p. 75 ; FD, p. 96, p. 160, p. 161, p. 164-183, p. 196, p. 220, p. 230, p. 233 ; H, p. 22, p. 75, p. 100, p. 117 ; LI, p. 166 ; LP, p. 38, p. 44, p. 58 ; M, p. 71, p. 111 ; MAA, p. 147 ; PA, p. 94, p. 115, p. 223 ; PC, p. 21, p. 80, p. 150, p. 199 ; SP, p. 23, p. 70 ; p. 158, p. 175, p. 242 ; VVE, p. 28, p. 271


Citations

"On vit un monde ouvert* avec, éventuellement, des sauts, des bonds. Le zen est plein de ces bonds-là. Cela provoque le rire, le rire du gai savoir", PC, p. 199.

"Le bouddhisme zen s'efforce de tout réduire (pensée, réflexion, philosophie) au thé et au riz. Ma tendance à moi était de tout réduire au roc et à l'eau", EB, p. 62.

"Pour ouvrir un nouveau terrain, je me suis dit de mon côté, il y a longtemps, qu'il fallait déshindouiser le vedanta, désiniser le tao, déjaponiser le zen", EB, p. 86.

"Parler d'éros dans un contexte bouddhiste zen peut sembler incongru. En fait, pour la sensation érotique au Japon, il faut remonter à la période prébouddhiste, c'est-à-dire au shinto. J'aimerais en quelque sorte sortir le zen du bouddhisme et le relier à un sol plus primitif...", FD, p. 220.

"J'ai commencé par vouloir établir un parallèle entre le bouddhisme et le celtisme, ou plutôt, j'ai voulu marcher à travers le paysage celte à la lumière du zen - ce qui signifie à la fois dézennifier le zen et déceltiser le paysage celte, pour arriver à quelque chose d’inédit, par un processus d’hybridation", FD, p. 233.

 

Commentaires

White évoque ainsi sa découverte du Zen alors qu’il étudiait en Allemagne : "Là, autre étape décisive, je suis tombé sur un petit livre de Daisetz Suzuki intitulé Le zen et la culture japonaise : cette lecture fut une révélation, car elle me fit découvrir... une transcendance sans transcendance. Je déteste, ou du moins, j’évite, tous ces mots tels que « religion », « sacré », patati patata… Dans le zen, j’ai justement trouvé cette dimension exempte de toute fioriture. Tout était réduit « au thé et au riz », c'est-à-dire à l'ordinaire. Or, pour moi, tout cela doit effectivement être présent d’une manière on ne peut plus ordinaire : nulle insistance, aucune surenchère… Que l’on n’en parle, à la limite, jamais, et surtout que l’on n’aille pas affubler cela de grands mots ni même de grands espoirs. J'aime, au contraire, que la perspective soit presque nihiliste. C'est la raison pour laquelle il m'a fallu peu à peu inventer mon propre vocabulaire afin de parler de cela. J'utiliserai donc des expressions telles que « espace du dehors* », « surnihilisme* »... J'irais même jusqu'à éviter le mot « zen » qui me semble encore de trop", Filigrane 2, p. 109.

Voir le chapitre Randonnées taoïstes, dans Une Apocalypse tranquille (p. 197-201) ainsi que les derniers chapitres de La Figure du dehors : Brûler la maison et partir vers l'Orient (p. 164-183) ; Le zen et les oiseaux de Kentigern (p. 212-234). Se référer aussi à l'article : Kenneth White, Zen et littérature, Quinzaine littéraire, 16 février 1976.

 

Cheminement critique

Marie-Luise LATSCH, Kenneth White et la pensée taoïste, KWG, p. 95-109 ; Michèle DUCLOS, KW, p. 168, p. 204-213 ; Olivier DELBARD, LKW, p. 220 ; Pierre JAMET, LGOKW, p. 469 ; Nicolas DUPIN, MOKW, p. 70.