Institut international

de géopoétique

 

 

Définition

 

Institut fondé en 1989 par Kenneth White : "A l'heure qu'il est, cela n'étonnera personne si je dis que c'est tout le mouvement que je viens de décrire, depuis la crise de la civilisation actuelle jusqu'au rêve de quelques isolatos*, qui a mené à la genèse de l'Institut international de géopoétique", CG, Série Colloques, L'Autre Amérique, p. 149.

 

 

voir Académie des Goélands, Archipel, Atlantique, Cahiers de géopoétique, Texte inaugural

 

 

Principales occurrences

LCGT, p. 30, p. 32, p. 40 ; LP, p. 57, p. 100-101, p. 128-129 ; SP, p. 16, p. 17, p. 171, p. 210, p. 250 ; Carnet de Bord, n°3, Printemps 2005, p. 3 ; CG, Série Colloques, L'Autre Amérique, p. 149 ;Lisières, p. 37

 

Citations

"C'est de tout ce champ de travail qu'a surgi la notion de géopoétique*. L'Institut international de géopoétique a été fondé en 1989. Il compte maintenant des centres dans une dizaine de pays. Je ne sais pas si cette idée, si cet institut vont changer le monde. Mais on n’a pas besoin d'avoir une foi absolue, une croyance à toute épreuve, un espoir total, pour se mettre en mouvement", LP, p. 101.

"L'Institut international de géopoétique n'a d' « institutionnel » que le nom (en le baptisant, je pensais entre autres à l'Institute of General Semantics, fondé par Alfred Korzybski, dans le Connecticut, en 1938). Il se développe organiquement, comme un système ouvert", LP, p. 128.

"Quant à ma propre « institution », l'Institut international de géopoétique, dont l'organisation est anarcho-complexe, j'insiste toujours sur la nécessité de recourir aux textes fondateurs, et de bien comprendre le lexique de base", LCGT, p. 40.

"L'Institut international de géopoétique maintient sur la scène du monde* sa présence atypique, atopique*. Quant à son archipel*, il a une vie organique. Certains centres disparaissent (souvent par manque de point focal, ou à cause de la dispersion de leurs membres), de nouveaux centres voient le jour", Carnet de Bord, n°3, Printemps 2005, p. 3.

"La création de l’Institut :

Pourquoi fonder un Institut ?

Je viens d’évoquer la théorisation d’une idée intuitive et expérimentale (rien à voir, soit dit en passant, avec un « idéal »). Par rapport à une idée embryonnaire, fragile et exposée, la théorisation est comme une ossature. Je pense à ces amas flottants de matière-énergie qui peuplaient le monde il y a quelque 500 millions d’années, avant d’emprunter des éléments au monde géologique, minéral (le calcium, par exemple) pour se fabriquer un squelette, ce qui leur donnait à la fois de la force et de la mobilité.

Après la théorisation, l’institutionalisation représente un pas de plus. Là, nous ne sommes pas dans le domaine de la pure pensée, mais dans le champ de la politique, de l’organisation de la polis. Et, avec la géopoétique, dans son champ le plus vif, le plus dynamique : celui de l’éducation, celui de la culture (dans un sens que ces deux mots n’ont plus depuis longtemps).

Certains des philosophes que j’ai particulièrement admirés ont senti le besoin de fonder une institution à un moment ou à un autre. Sans remonter aux modèles classiques  – Platon et son Académie, Aristote et son lycée, Épicure et son jardin – je songe à certains poètes-penseurs modernes. Nietzsche aurait aimé pouvoir fonder une École du Midi, qui reprendrait, en plus vigoureux, l’inspiration du vieux consistoire du Gai Savoir. Ezra Pound aurait aimé créer une université du côté de Rapallo. Le poète Charles Olson était un des grands animateurs du Black Mountain College en Caroline du Nord. En concevant, en mettant en œuvre l’Institut international de géopoétique, je pensais aussi, par exemple, à l’Institute of General Semantics fondé en 1938 par le logicien Alfred Korzybski, concernant la possibilité d’élaborer un système non-aristotélicien (ce qui ne signifie pas un abandon d’Aristote), et la non-linéarité de nouvelles émergences.

Les modèles de structuration et de développement institutionnel les plus communs, qui remontent loin dans la mise en place de la civilisation et qui restent fixés dans les esprits, entraînant des applications et des oppositions diverses (c’est toute l’Histoire) sont : hiérarchie pyramidale, centre et périphérie, cercles concentriques, réseau. Un des plus intéressants, et certainement le plus récent, est celui de réseau. Mais les preuves sont là : sans noyau d’énergie (core), il s’éparpille, les messages se confondent, se délitent, se diluent.

J’envisageais une architecture spatiale plus complexe. Ni centraliste, ni décentraliste, et qui soit plus qu’une hybridation.

Ce que je dis là est abstrait. Mais sans abstraction on ne comprend pas grand-chose, on accumule du concret, on se noie dans les détails. L’Institut se compose à la fois d’un organisme complexe et d’une dimension abstraite.

À partir de mon schéma abstrait, j’ai procédé selon un empirisme ouvert, et en termes d’une géométrie grandissante, selon l’évolution de la pensée géométrique : d’abord euclidienne, ensuite affine, projective, différentielle, topologique.

« Tout un poème », m’a dit un jour un marin parlant du système de navigation nécessaire dans un certain secteur, semé d’écueils, de la mer bretonne.


L’archipélisation :

L’archipélisation, ah, l’archipélisation…

Quand, en 1993, j’ai proposé à l’Institut une « archipélisation », je savais pertinemment à quoi j’exposais à la fois l’Institut et l’idée géopoétique : dilution du concept, ambitions personnelles, tendances séparatistes.

Mais c’est le fait de s’exposer qui, si l’on sait maintenir une pensée claire et perspectiviste, peut faire avancer et se développer un système.

Ce que je voulais voir émerger à travers le monde, c’était (et c’est encore) une multitude de centres (ateliers, groupes – les noms peuvent varier) que je présentais, en termes imagés, comme des îles faisant partie d’un archipel, qui travailleraient, toujours en liaison avec l’Institut, notamment, mais bien sûr non exclusivement, dans des contextes locaux, puisant dans des ressources locales, en contact, éventuellement, avec des instances locales, ayant toujours à l’esprit l’idée géopoétique et son énergie mondificatrice (« mondification » plus intéressante et plus difficile que toute « mondialisation » massive à base géopolitique ou géo-économique).

Je ne veux pas entrer ici dans l’histoire, et surtout pas dans la petite histoire, il suffit de dire que les tendances possibles que j’avais pressenties n’ont pas manqué de se manifester, ici et là, à diverses reprises.

Ces « crises » passagères ont pu être réglées, et l’Institut a continué à avancer et à se développer.

Considérons les choses en prenant un peu de hauteur.

Ce que j’ai appelé l’archipélisation n’a jamais signifié (je l’ai précisé à maintes occasions, dans des textes, dans des conférences, dans des  entretiens que j’ai multipliés tout au long de ces années) la dissolution de l’Institut, seulement la complexification du système. Si recours a été fait, selon les usages du discours, à un substantif, « archipel » (peut-être même parfois, selon un tropisme linguistique anglo-germanique avec un A majuscule), l’accent a toujours été mis sur une dynamique active, qui indiquerait extension et expansion, non pas désagrégation.

J’ai eu affaire récemment à un argument logique, se situant au-dessus de tout simple réactionisme, qui m’a amusé. Puisqu’il est question d’îles et d’îlots, disait mon interlocuteur, cela indique la présence d’un archipel comme une entité en soi. QED. Mais si l’on prolonge l’image, la métaphore, la logique, comme je lui ai proposé de le faire, tout archipel fait partie d’un continent.

Mais laissons toute cette métaphorisation pour aller vers une métamorphose constante dans l’unité.

Celle-ci ne peut venir que d’un rapport dynamique entre les divers groupes, centres, ateliers et l’Institut, chaque membre d’un groupe étant conscient d’une appartenance plus large, sans jamais perdre de vue tout le contenu latent et tout le rayonnement possible de l’idée géopoétique.

Concernant la dilution possible du concept, j’ai eu récemment une conversation, amicale et amusante celle-là aussi, où le directeur d’un des centres de l’archipel m’a dit : « Après tout, on peut être géopoéticien à 50%, à 30%, à 10%… » D’accord, lui ai-je répondu, mais il ne faudrait pas qu’il y en ait trop qui restent à 10%, ce serait très mauvais pour l’image », sans parler du fait que si les 10% de géopoéticité se mêlent à des inepties, le résultat peut être pire que rien. La géopoétique avance et se développe, non pas tant par une « créativité » basée sur 10% de compréhension, mais sur une augmentation de la compréhension, sur l’évolution des esprits.

Voilà le travail qui est à faire à l’intérieur des centres, ateliers, groupes, l’Institut restant garant de la grande dimension géopoétique. C’est l’Institut plus son archipel, comme un ensemble complexe, qui aura la carrying capacity maximale, capable, éventuellement, non seulement de marquer l’Histoire, mais d’ouvrir un espace au large de l’Histoire, d’instaurer un espace-temps à côté duquel l’Histoire semblera une monstrueuse caricature du possible humain." (Précisions et perspectives — Lettre ouverte du 15 mai 2015)

 

 

Commentaires

Cinq ans après la fondation de l'Institut, White pouvait écrire : "Dès que j'eus lancé le mot, il sembla agir un peu comme un attracteur étrange. Il fut repris par d'autres, dans des contextes différents, pas toujours, et même assez rarement (notre époque est marquée par un mélange de paresse intellectuelle et une précipitation pseudo-communicative), avec la précision et les perspectives souhaitables. C'est pour cela, pour garder au mot toute sa puissance, toute sa potentialité, qu'en 1989, j'ai décidé de fonder l'Institut International de Géopoétique, qui aurait sa revue, les Cahiers de Géopoétique*. L'Institut regroupe actuellement quelque trois cent membres venant de milieux et de disciplines divers. S'y trouvent notamment des biologistes, des psychologues, des philosophes, des géographes, des écrivains (à la hauteur de nos exigences) et des artistes plasticiens. L'Institut a des centres (groupes, ateliers) dans plusieurs pays déjà, et d'autres sont en cours de formation. Je nommerai l'Atelier Géopoétique d'Aquitaine, situé à Bordeaux ; l'Atelier du Héron, qui se réunit au Rouge Cloître à Bruxelles ; le Centre de Géopoétique de Belgrade qui a lancé aussi une maison d'édition, Edicija Geopoetika ; le Centre de Géopoétique de Skopje, lié lui aussi à une maison d'édition. Mentionnons également l'Atelier Géopoétique de l'Amérique Nord, en voie de formation à Montréal ; Le Centre écossais de Géopoétique, en voie de formation à Edimbourg ; l'Atelier Géopoétique des Caraïbes, en voie de formation à la Martinique", Lettre au CIRET, Bulletin du Ciret, n°2, juin 1994.

 

Cheminement critique

Anne BINEAU, De l'Académie des Goélands* à l'Institut international de géopoétique, HKW, p. 62-67 ; MOKW, p. 85 ;Christophe RONCATO, KWOM, Historique Provisoire de l’Institut international de géopoétique, p. 197-216.

 

 

 

Isolato

 

 

Définition

 

"Il ne s'agirait donc pas, sauf en passant, par provocation, d'opposer « littérature française » à « littérature anglaise-américaine » (ou sud-américaine, ou orientale, que sais-je), mais de constater la présence, ici où là, d'isolés (Melville disait : isolatos), qui passent beaucoup plus de temps dans « le dehors » que dans le café, ou à des « loisirs » et qui, de ce fait, vivent et écrivent d'une manière radicalement autre", EN, p. 50.

 

 

voir Anarchiste de l'Aurore, Figure du dehors, Nomade intellectuel

 

 

Principales occurrences

AT, p. 124 ; DD, p. 25 ; EN, p. 50 ; LCGT, p. 64 ; CG, Série Colloques, L'Autre Amérique, p. 149 ; Lexique géopoétique, Poésie 98, Octobre, n°74, p. 15

 

Citations

"Mais on peut se plaire à l'imaginer, lui [n.b. : Jude l'obscur, le héros de Thomas Hardy], le « fou », revenant, non pas peut-être sous les traits d'un « écrivain », mais, disons, d'un nomade intellectuel (un Ismaélite de l'intelligence, un isolato de l'esprit) qui pratiquerait cette « autre folie » qu'est l'écriture", AT, p. 124.

"Mais, à l'encontre de Deleuze, je n'attribue pas l'origine de ce genre de trajectoire, chez moi et chez d'autres, à une aire anglo-américaine, mais à un isolement, un exode, un exil - Melville n'est pas « anglo-américain », il est, pour employer un terme que lui-même affectionnait, un isolato", DD, p. 25.

Définition de la Figure du dehors* : "Indique quelqu'un qui essaie d'évoluer en dehors des espaces codés et des systèmes de pensée-réflexe. Proche de l'outsider, mais ne se complaît pas dans le marginalisme, encore moins dans la bohème. Proche aussi de l'isolato*, tel qu'on le trouve, par exemple, dans La Baleine blanche de Herman Melville (« Appelez-moi Ismaël »), mais qui vise autre chose qu'une perpétuelle fuite en avant. Cherche, et trouve, une nouvelle configuration. Voir le livre d'essais qui porte ce titre", Lexique géopoétique, Poésie 98, Octobre, n°74, p. 15.

 

Commentaires

La notion d’isolement est fréquente chez White. Voir entre autres, Eloge de l’isolement in Le Passage extérieur, Isolario, etc… S’il emprunte le mot à Melville, qui lui-même l’a emprunté à l’usage marin italien, il prolonge l’extension que déjà lui donnait l’auteur américain.

Voici la manière dont Melville évoque l'isolato : "Comment il se fait que les « insulaires » soient meilleurs chasseurs de baleine que les continentaux, je ne saurais le dire ; mais le fait est qu'à bord du « Péquod », tous ou presque tous étaient originaires des îles, îliens solitaires [isolatoes] eux-mêmes, je puis bien le dire, îliens non pas tant à cause du retranchement de leur lieu d'origine d'avec le continent de l'humanité en général, mais parce qu'en réalité chacun vivait séparément et constituait son propre continent à soi seul", Melville, Moby Dick, Club français du Livre, p. 193, traduction d'Armel Guerne.


Cheminement critique

Christophe RONCATO, KWOM, p. 55-56