Dictionnaire de géopoétique

Eléments puisés dans l’œuvre fondatrice de Kenneth White

 

Feathered Egg,

L’Œuf à plumes

 

 

Définition

 

Troisième revue fondée par Kenneth White (deux livraisons). "Ce dans quoi nous nous sommes engagés, à tout moment, dans tout lieu, en particulier ici maintenant avec L'Œuf à Plumes, c'est l'ouverture de perspectives et d'un champ d'énergie […]. Ce qui nous intéresse, c'est cet arrière-plan (ce champ, ces perspectives) - ce qui est une autre façon de dire une culture", Eggitorial, The Feathered Egg, n°1, avril 1972.

 

 

voir Feuillage, Jargon Group

 

 

Principales occurrences

LP, p. 19 ; PC, p. 88-89 ; The Feathered Egg, n°1 ; The Feathered Egg, n°2

 

Citations

"A l'université de Glasgow, j'ai fondé le « Jargon Group* ». Le titre était un peu ironique et faisait référence à une phrase de Henry Miller : « le jargon des anges et des exclus »… J'ai collaboré aussi à un groupe para-situationniste de Londres, le groupe « Sigma ». J'essayais de propager certaines idées et j'ai très vite remarqué l'impact que pouvait avoir un petit groupe dynamique et difficilement situable. Il devient « mythique ». Ensuite, j'ai animé à Pau, en 1967-68, un groupe autour de la revue « Feuillage* ». Nos activités étaient très mal vues par les autorités universitaires et c'est pourquoi j'ai été mis à la porte de l'université en juin 1968. Après, j'ai encore édité à Paris une revue The Feathered Egg (« L'Œuf à plumes »)... et puis, j'en ai eu assez. Je n’ai plus participé à aucun groupe", PC, p. 88.

"J’essaie depuis longtemps d’inspirer ce mouvement de l’esprit. Dans ce but j’ai créé des groupes ici ou là : à Glasgow, le Jargon Group, à Pau, le groupe Feuillage, à Paris, le groupe du Feathered Egg, et l’on peut dire que le travail universitaire que je fais, le séminaire* qui a eu plusieurs noms (« le séminaire du Gai Savoir », le « séminaire du Vieil Étang » et, en ce moment, le séminaire « Poétique du monde* »), c’est un effort pour former de tels esprits, pour ouvrir un tel espace mental », LP, p. 19.

 

Commentaires

L’œuf à plumes sera le dernier mouvement animé par White avant … l’éclosion, en 1989, de l’Institut international de géopoétique*.

 

Cheminement critique

 "White va désormais poursuivre seul, hors de l’histoire politique ou littéraire, seul mais affermi, un cheminement interrompu. Le premier numéro de la revue The Feathered Egg qu’il lance à Paris en 1972, en porte témoignage dès son titre même : « Le slogan que j’avais mis sur la couverture du premier numéro de ma petite revue, en 1972 à Paris était : « Not underground, other ground ! » […] Il s’agit de trouver un autre terrain, et là, il y a un travail immense à faire : travail psychologique, travail intellectuel. Si une société peut se bâtir sur ce terrain tant mieux. Mais l’essentiel est que ce terrain existe et que les gens puissent le reconnaître, qu’ils puissent y fonder au moins une vie individuelle (PC, p. 89) ", Michèle DUCLOS, KW, p. 125 ; Anne BINEAU, HKW, p. 59.Christophe RONCATO, KWOM, p. 194.

 

 

Feuillage

 

 

Définition

 

Second groupe fondé et animé par White à l'université de Pau dans la période 1967-68 : "Feuillage. Pourquoi Feuillage ? […] Peut-être pensions-nous à la phrase de Thoreau : « La terre n'est pas un simple fragment d'histoire morte que doivent étudier essentiellement les géologues et les paléontologues, mais la poésie vivante tout comme les feuilles d'un arbre qui précèdent les fleurs et le fruit - pas une terre fossile mais une terre vivante... » Feuillage - pour une terre vivante. Si ce n'est pas prétentieux, qu'est-ce donc ? Eh bien c'est la réalisation de cette « terre vivante » qu'en fin de compte nous revendiquons et à laquelle nous aspirons. Plus circonstanciellement, si ce n'est plus modestement, puisque Feuillage apparaît non sur le toit du monde, mais dans une université, ce que nous voulons, c'est une université vivante", By Way of an Editorial, in Feuillage n°1, janvier 1968 (traduction de Véronique Portéous et Anne Bineau).

 

 

voir Feathered Egg, Jargon Group

 

 

Principales occurrences

LM, p. 19 ; LP, p. 19 ; PC, p. 88 ; SP, p. 16, p. 171 ; Feuillage, n°1 à n°7 ;Lisières, p. 36



Citations

"Je lançai le groupe Feuillage / pensant à Whitman / (« Toujours notre vieux feuillage / toujours la libre étendue et la diversité ») / et parlai d'une « université créatrice » / prêt à recommencer à Pau (manok) / le groupe s'agrandit / la petite revue Feuillage se mit à voleter dans la brise", LM, p. 19.

"J'ai animé à Pau, en 1967-68, un groupe autour de la revue « Feuillage ». Nos activités étaient très mal vues par les autorités universitaires et, c'est pourquoi j'ai été mis à la porte de l'université en juin 1968", PC, p. 88.

 

Commentaires

La revue Feuillage, émanation du groupe homonyme, a connu 7 livraisons, la dernière paraissant en février 1970 (soit après le départ de White de la région). Sur cette période de la vie de White, voir le poème Villa Formose, LM, p. 16-21.

Le poème cité de Walt Whitman est un extrait du recueil Feuilles d’herbe intitulé Notre vieux feuillage. La phrase de Thoreau est extraite de Walden ou la vie dans les Bois (Chapitre XVII : Le printemps).

 

Cheminement critique

Anne BINEAU, HKW, p. 55-61 ; Michèle DUCLOS, KW, p. 135-136 ;Christophe RONCATO, KWOM, p. 194.

 



Figure du Dehors,

Homme du Dehors

 

 

Définition

 

"Indique quelqu'un qui essaie d'évoluer en dehors des espaces codés et des systèmes de pensée-réflexe. Proche de l'outsider, mais ne se complaît pas dans le marginalisme, encore moins dans la bohème. Proche aussi de l'isolato*, tel qu'on le trouve, par exemple, dans La Baleine blanche de Herman Melville ("Appelez-moi Ismaël"), mais qui vise autre chose qu'une perpétuelle fuite en avant. Cherche, et trouve, une nouvelle configuration. Voir le livre d'essais qui porte ce titre", Lexique géopoétique, Poésie 98, Octobre, n°74, p. 15.

 

 

voir Anarchiste de l'Aurore, Espace du dehors, Isolato, Matrice, Nomade intellectuel

 

 

Principales occurrences

AT, p. 48, p. 167 ; EB, p. 67 ; FE, p. 10 ; LCGT, p. 48 ; LP, p. 120 ; PA, p. 27 ; PC, p. 25, p. 89, p. 96, p. 166 ; Cosmose, p. 69, p. 75, p. 78 ; Latitudes n°6, p. 30 ; Poésie 98, n°74, p. 15 ; postface à l’ouvrage  : Gilles Farcet, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 299 ; Cosmose, p. 69, p. 78



Citations

"Il est important de se rendre compte que le poète n'est plus le porte-parole d'une société ou un individu marginalisé, mais la figure du dehors, et il n'est pas exagéré de dire que la découverte du Nouveau Monde ne date pas de 1492, ni de 1770, ni de la ruée vers l'Ouest, elle commence seulement maintenant", AT, p. 167.

"Il faut à toute culture vivante sa figure du dehors. C'est le poète-penseur* tel que je l'envisage. Il ne pense pas en termes humanistes, il pense en termes de bio-cosmo-poétique*", PC, p. 25.

"Toute société a besoin de figures du dehors. Il y a une figure du dehors dans chaque vrai poète. Toutefois, la poésie dans son ensemble ne représente pas, malheureusement, un espace du dehors*. Elle n’est, la plupart du temps, qu’une lamentation, l’expression personnelle de gens qui se sentent mal à l’intérieur, dans le dedans d’eux-mêmes", postface à l’ouvrage  : Gilles FARCET, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 299.

"Le poète, est-ce le mot qui convient ? Je préfère parler en termes de figure du dehors, celui qui quitte les cadres donnés, figure du dehors qui va explorer d'autres territoires*", Cosmose, p. 69.

"On revient à cette idée de ne pas se laisser enfermer dans un cadre donné, dans une culture donnée, mais d'être la figure du dehors, l'être de passage...", Cosmose, p. 78.

 "Je me sens proche de toutes les figures du dehors de l'Occident, depuis Apollonius de Tyane jusqu'à Arthur Rimbaud", PC, p. 166.

 

Commentaires

L'essai La Figure du dehors est paru aux éditions Grasset en 1982.

Dans un entretien avec Gilles Farcet, White précise : "Le terme même de figure du dehors est issu de plusieurs contextes. J'ai toujours voulu sortir d'une intériorité pour trouver un dehors et la notion de « figure » m'intéresse dans la mesure où elle ne renvoie pas à une personne, à une identité sociale, mais plutôt à des lignes... Ce terme nageait donc dans ma tête. Il y aussi une liaison - mais non une identité - avec « The figure of outward » de Charles Olson", postface à l’ouvrage : Gilles FARCET, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 297.

White a donné ailleurs une définition du « dehors » : "Le chemin mène donc vers l’intérieur, c’est-à-dire en dehors de la société, mais en même temps il va vers l’extérieur, puisque c’est dans le dehors, entendu comme le vaste univers non humain, que l’être humain va atteindre au plus grand élargissement possible de sa conscience. C’est là qu’il va évoluer et se réaliser », Préface à Carl Gustav CARUS, Voyage à l’île de Rügen, Premières Pierres, p. 8.



Cheminement critique

Jack DORON, MOKW, p. 98-99 ; Pierre JAMET, LGOKW, p. 160





Flèche

 

 

Définition

 

"[…] Je voue aux flèches le même amour que Thoreau, et il y a des photos de harpons épinglées au-dessus de ma table de travail ; mais cela n'a rien d'un symbolisme phallique ! C'est une prédilection pour le geste vif, aigu, qui tranche dans la réalité ; avancer dans la vie d'une manière exacte...", postface à l’ouvrage : Gilles FARCET, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 302.

 

 

voir Livre, Waybook

 

 

Principales occurrences

LCGT, p. 123 ; LP, p.47 ; PC, p. 93 ; postface à l’ouvrage : Gilles Farcet, Henry Thoreau, l'éveillé du Nouveau Monde, Sang de la terre, 1986, p. 302 ; Fanal, p. 6



Citations

"J'essaie [...] de faire trois genres de livres, et je vois mon travail comme une sorte de flèche. La pointe, c'est le poème. La tige, ce sont les livres existentiels : Les Limbes incandescents, Dérives, Le Visage du vent d'est. Ce sont des itinéraires, des voyages-voyances*, des autobiographies, des romans sans les ficelles, sans le romanesque. Les pennes, c'est la théorie, les essais, une manière de penser que j'essaie d'exprimer conceptuellement, théoriquement, abstraitement. Je ne privilégie pas l'une ou l'autre partie, l'ensemble fait un tout", Fanal, p. 6.

"Ce champ est présent dans les trois sortes de livres que j'écris : le livre de poèmes, le livre-itinéraire*, le livre d'essais. Dans le livre-itinéraire, il y aura seulement plus de matière vécue dans la durée. Dans l'essai, plus de matière intellectuelle. Un jour, j'ai comparé cette triple activité à une flèche : les pennes, l'essai ; la tige, le livre-itinéraire ; la tête de la flèche, le poème", LCGT, p. 123.

 

Cheminement critique

"Cette structuration ternaire se retrouve à tous les niveaux d'agencement de l'œuvre. White structure généralement ses livres sur une répartition ternaire, et tend à les regrouper, tel L'itinéraire d'un surnihiliste*, suivant une association triple. L'image de la flèche, penne, fût et pointe, lui a mainte fois permis de présenter la tripartition de ses écrits, distribués en essais, autobiographie, poèmes" ; "Dans la perspective nouvelle d'un réel à la fois continu et discontinu, et en partant des considérations les plus extérieures, c'est à dire des formes littéraires et esthétiques, on peut voir une application de cette relation entre discontinu et continu dans le refus par le poète d'observer des coupures tranchées entre les trois genres littéraires qu'il pratique (autobiographie, essai, poésie), les situant aux trois lieux précis de la flèche dont il fait l'image de la créativité tout en conservant à chacun une spécificité de forme ou de contenu", Michèle DUCLOS, KW, p. 71 et p. 250.

 

Géognose

 

 

Définition

 

La géognosie est d’après Littré : " La science traitant de la composition minéralogique, de la structure, de la forme et étendue des diverses couches ou groupes de masses minérales qui constituent la partie solide du globe terrestre".

 

White confère un sens poétique à ce terme géologique : "Il y avait aussi un deuxième aspect peut-être plus solitaire celui-là, que j'appellerais maintenant géo-gnose, un effort pour approcher d'un territoire*, pour cerner un pays, pour me rapprocher d'un monde*, d'une réalité, pour sortir de moi, en fait...", Cosmose, p. 66.

 

 

voir Géopoème, Géopoétique, Monde, Territoire, Topologie poétique

 

 

Principales occurrences

FD, p. 215 ; PA, p. 317, p. 322, p. 329, p. 335 ; PC, p. 22, p. 32, p. 166 ; CG, n°2, p. 75 ; CG, n°2, p. 75, 80, 85 ; Cosmose, p. 66 ; Incisions III, p. 26 ; Préface à Carl Gustav CARUS, Voyage à l’île de Rügen, Premières Pierres, p. 13


Citations

"J'ai passé toute mon enfance sur cette côte de l'ouest, juste en face de l'île d'Arran dont parle le poème. Et mon grand désir dès le commencement était de voir dans cette côte, d'en tracer les lignes - psychocosmographiquement*, si je puis dire, géognostiquement", FD, p. 215.

"Sortir de l'humanité pour retrouver le monde (et ce sera pour le plus grand bien de l'humanité !), sortir de l'histoire pour retrouver la géographie, la géo-gnose", PC, p. 22.

"Il m'est arrivé de parler de géognose et de géopoétique. Et à la recherche de la « terre de lumière » (dans la tradition celte, moins bien connue et plus caricaturée - parce que sa proximité gêne ? - que la chinoise ou l'iranienne, on disait gwenved, le monde blanc*), je suis allé au nord, au sud, à l'est et à l'ouest. Une lecture hermétiste des lettres du mot Adam (l'homme « primordial ») donne ces quatre directions cardinales...", PC, p. 166.

 

Commentaires

Dans Une Apocalypse tranquille, White évoque son "itinéraire gnostique" : "Si, dans le contexte épistémologique occidental d'aujourd'hui, une certaine pensée orientale, conceptualisable, s'il le faut, à notre manière, se révèle être non seulement utile, mais encore le langage même du monde qui surgit, on peut trouver une façon de penser et d'être équivalente à quelques détails près, sinon dans la philosophie monumentale et systématique occidentale, du moins dans ses marges, dans sa « gnose », ou dans sa « mystique »", AT, p. 219.

Dans un chapitre consacré à Humboldt, White aborde la géognose dans son sens premier c'est à dire de "configuration du terrain" (PA, p. 317). Il commente ainsi cet usage : "Humboldt, comme on l'a constaté, utilise assez souvent le terme « géognose », mais là aussi, le sens est très spécifique - il s'agit de la configuration de la terre, non pas de la configuration d'un nouvel esprit général des choses. Au cours de son voyage, Humboldt avait été abordé par des gens munis de vagues et confuses notions d'astronomie et de physique et qui voulaient parler de « nouvelle philosophie » - il trouvait cela absurde, comme il aurait trouvé absurdes tant d'autres « nouveautés ». Pour des raisons que j'ai déjà évoquées tout au long de cet essai et de ce livre, et pour d'autres qui vont émerger encore, je pense que le terme le plus adéquat est « géopoétique* »", PA, p. 335.

 

Cheminement critique

Michèle DUCLOS confirme l'évolution de la notion dans l’œuvre : "La géognose et la biocosmopoésie* sont devenues la géopoétique*", KW, p. 271. Pierre JAMET, LGOKW, Le fils de la terre et le géo-gnostique, LGOKW, p. 360-382 ; Nicolas DUPIN, MOKW, p. 68.
Voir aussi sur notre site Régis POULET : De la géologie à la géopoétique.

 

 

Géomental

 

 

Définition

 

Néologisme désignant le rapport entre la psyché et le monde : « un sens spatial du moi », RB, p. 164.

 

 

voir Géopoétique, Paysage mental, Psychocosmique, Psychogéographie

 

 

Principale occurrence

RB, p. 163

 

Citation

"Que suis-je venu faire ici ? J’ai du mal à répondre. Disons : des méditations géomentales", RB, p 163.


Commentaires

La seule occurrence du terme géomental se trouve dans La Route bleue. Il est donc contemporain de l’apparition du concept de géopoétique : "Automne 1979. Je voyage à travers les Laurentides, en route pour le grand espace blanc du Labrador. Une nouvelle notion en tête : celle de géopoétique. L'idée qu'il faut sortir du texte historique et littéraire pour trouver une poésie de plein vent où l'intelligence (intelligence incarnée) coule comme une rivière", SP, p. 198. Géomental peut ainsi raisonnablement être classé parmi les nombreux termes préfigurateurs de la géopoétique.

 

Cheminement critique

"Le long de cette Route bleue, White s’interroge :

Que suis-je venu faire ici ? J’ai du mal à répondre. Disons : des méditations géomentales.

Pour préciser ensuite :

C’est un sens spatial du moi que j’essaie de développer ici, sur le plateau du Labrador", Nicolas DUPIN, MOKW, p. 82.

 

 

Géopoème,

Géopoésie

 

 

Définition

 

Néologisme : "Parlons plutôt de « géopoésie » (géognose*) ou bien, pour utiliser un terme de Whitman, « poésie du cosmos »", Incisions III, p. 26.

 

 

voir Cosmopoème, Géognose, Géopoétique, Géopoéticien

 

 

Principales occurrences

PA, p. 118 ; PC, p. 28, p. 63 ; SMF, p. 101 ; Incisions III, p. 26 et 70 ; L'espace premier, carton d'invitation de l'exposition Riopelle, Galerie Maeght, 1980

 

Citations

"C'est par la géographie, disons par une géo-poésie, qu'on sortira peut-être de notre sclérose historico-culturelle", PC, p. 28.

"Je parle en termes de géopoésie. Tandis que « rural », « rustique » - je ne peux pas dire que ça m'excite beaucoup l’esprit…", PC, p. 63.

"Ailleurs, il y aura une sorte de poésie des noms de lieux, un géopoème rudimentaire : « Garonne - Dordogne - Loire - Rhône - Drôme – Durance », « Kotzebue – Cape Blossom – The Artic Circle – Nimiuk Point – Pipe Spit », « Ringdom Gompa – The Penzi Pass – The Sanskar Valley – Ating Gompa – Huttra – The Muni Glacier – Machail – The Chander Bhaga River »", PA, p. 118.

"C'est en effet en termes de cosmo-poésie* et de géo-poésie que je parlerai de ce film, dans lequel il s'agit d'une remontée (trois mille kilomètres) du Missouri vers les hautes terres du grand Nord-Ouest", SMF, p. 101.

"Qui ne sait pas lire dans la poésie de la peinture (cette géo-poésie gestuelle) n'aura jamais rien compris à la peinture", L'espace premier, carton d'invitation de l'exposition Riopelle, Galerie Maeght, 1980.

 

Commentaires

Dans le vocabulaire de l’auteur, la géopoétique* va progressivement supplanter la géopoésie pour les raisons mêmes qui ont fait que White a toujours préféré le terme de géopoéticien à celui de géopoète : "C'est une des raisons pour lesquelles je tiens à dire « géopoéticien* », et non pas « géopoète », mot qui laisserait la porte ouverte à toute une poésie vaguement géographique (préférable certes à tant de fantaisies personnelles, mais ne menant pas très loin), mais, surtout, mot restrictif, qui cantonnerait la géopoétique* dans la poésie alors que son champ d'application est beaucoup plus étendu", Autre Sud, n°45, Juin 2009, p. 3.

 

Cheminement critique

"Un poème, un «géo-poème», n’est pas seulement un texte qui parle de la Terre, qui décrit ou évoque les choses du monde*. C’est une expression qui nous met en contact avec le langage-du-monde, nous rappelle, nous redonne la preuve de l’expressivité inhérente au monde. Un poème est une façon d’écouter, de comprendre, de parler le langage du monde", Georges AMAR, CG, n°3, p. 26.

 

 

Géopoéticien

 

 

Définition

 

Néologisme désignant celui qui œuvre dans le champ de la géopoétique* : "Le géopoéticien, la géopoéticienne, est engagé(e), en dehors du contexte sophistiqué ou vulgaire de la modernité finissante, dans une aire* aux coordonnées variables et complexes. En suivant les pistes du nomadisme intellectuel*, en traversant les champs de la géopoétique*, il/elle essaie de sortir de l'histoire pathologique pour ouvrir un espace existentiel, intellectuel, artistique, culturel, qui soit plus frais, plus respirant, plus stimulant, plus inspirant", Carnet de bord, n°2, Printemps 2004, p. 2.

 

 

voir Aire la plus difficile, Géopoétique, Nomade intellectuel, Nomadisme Intellectuel

 

 

Principales occurrences

AE, p. 57 ; DD, p. 49 ; DEN, p. 54, p. 62 ; PA, p. 27, p. 39, p. 41, p. 131 ; RC, p. 234 ; CG, n°5, p. 5 ; CG, Géopoétique et Arts plastiques, p. 10, p. 13 ; CG, Série Colloques, L'Autre Amérique, p. 140 ; KW, Latitudes, n°2, p. 19 ; Latitudes, n°6, p. 31, p. 36, p. 43 ; Carnet de bord, n°2, p. 2 ;Lisières, p. 42


Citations

"Je n'ai pas suivi le parcours chronologique de ce délire, j'ai essayé en logicien géopoéticien, d'en dégager une structure", DD, p. 49

"Le but des iconoclastes byzantins était d'atteindre une parfaite transcendance au-delà de l'intervention, de l'intermédiaire, d'une iconologie trop humaine. Peut-être pourrait-on dire que le but de « l'iconoclaste » géopoéticien, c'est d'arriver à une parfaite immanence", CG, Géopoétique et Arts plastiques, p. 13.

"La poétisation du géopoéticien procède à la fois de l'investigation (la veritas facti de Leibniz) et de l'intuition (veritas essentiae), et elle emploie la langue, elle laisse se mouvoir la langue, d'une manière à la fois souple et dense", Latitudes n°6, p. 31.

"Le géopoéticien reste, selon le mot de Nietzsche « fidèle à la Terre », planète à la fois complexe, subtile et belle", Latitudes n°6, p. 43.

"C'est ici que le nomade intellectuel* se mue en géopoéticien - je dis géopoéticien, comme on dirait logicien ou mathématicien, afin d'indiquer à la fois une sortie des ornières et des marécages de ce que l'on nomme ordinairement « poésie » de nos jours, et un champ de langage général où pourraient se retrouver ces langages séparés que sont ceux de la science, de la philosophie et de la poésie", extrait du discours inaugural de la 25ème Biennale de Poésie, Liège, 2007.

 

Commentaires

Signalons encore une fois que la dénomination « géopoète » est récusée par Kenneth White : "C'est une des raisons pour lesquelles je tiens à dire « géopoéticien* », et non pas « géopoète », mot qui laisserait la porte ouverte à toute une poésie vaguement géographique (préférable certes à tant de fantaisies personnelles, mais ne menant pas très loin), mais, surtout, mot restrictif, qui cantonnerait la géopoétique* dans la poésie alors que son champ d'application est beaucoup plus étendu", Autre Sud, n°45, Juin 2009, p. 37. En 2004 déjà, lors d'un colloque tenu à Genève, White avait précisé : "C'est dire, s'il le faut encore, que la géopoétique est plus qu'une poésie vaguement géographique, ou qu'une géographie vaguement poétique, qui constituerait une section spéciale de la littérature, la spécialité de « géopoètes » (terme que je n'ai jamais employé, mais que je trouve ici et là dans les journaux)", Marche et paysage, Les chemins de la géopoétique, dirigé par B. Levy et A. Gillet, Metropolis, 2007, p. 25.

 

Cheminement critique

"Dans l'essai publié en 1989 par la London Review of Books, « From an Outpost », White qualifie le poète de « wayman, alias earth-poet » : homme de la voie, poète de la terre. Le terme de « géopoéticien » est encore peu acclimaté", Michèle DUCLOS, KW, p. 235.

 

 

Géopoétique

 

 

Définitions

 

Le terme même de géopoétique est un néologisme. Comme le précise White : « L’idée était latente et la pratique à l’œuvre depuis le départ, et le mot avait surgi inopinément ici et là dans ma bouche et sous ma plume autour de la fin des années soixante-dix. Il semblait « cristalliser » un grand nombre d’éléments divers et flottants. Il m’a été signalé récemment que ce mot était déjà apparu d’une manière fugace dans d’autres contextes, aussi bien littéraires que scientifiques. J’en prends note. Mais ce n’est pas une paternité que je revendique, c’est une poéticité. Non pas un mot, mais le développement d’un concept », PA, p. 13.

 

White a donné plusieurs définitions de cette notion unificatrice et plurivoque dont celles-ci : "La géopoétique est une théorie-pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, qui a pour but de rétablir et d’enrichir le rapport Homme-Terre depuis longtemps rompu, avec les conséquences que l’on sait sur les plans écologique, psychologique et intellectuel, développant ainsi de nouvelles perspectives existentielles dans un monde refondé", (site https://kennethwhite.fr/geopoetique/).

 

"Une tentative de renouveler la culture, de créer un nouvel espace culturel, en revenant à la base sur laquelle nous essayons de vivre, la Terre même. Il s'agit d'établir avec ce "fonds" le rapport le plus sensible, le plus intelligent, le plus subtil possible. Ensuite, de trouver le langage de ce rapport. Trois étapes donc : contact, approfondissement et amplification, expression. La géopoétique ouvre un champ nouveau dans les sciences, dans la philosophie, dans la littérature et les arts plastiques. Elle vise en fait à un nouveau "grand champ" général, au-delà des cloisonnements établis", Lexique géopoétique, Poésie 98, Octobre, n°74, p. 17.


Voici trois définitions données lors d'une conférence : « Sur la géopoétique des fleuves » (Lyon, octobre 2011)

Première définition 
:

« La géopoétique est une théorie pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, qui a pour but de rétablir et d’enrichir le rapport homme-terre depuis longtemps rompu — avec les conséquences que l’on sait sur les plans écologique, psychologique, intellectuel et social, développant ainsi de nouvelles perspectives existentielles dans un monde ouvert.»

Seconde définition

« La culture (au sens profond du mot) a été fondée jusqu’ici sur trois puissances : le mythe, la religion, la métaphysique ». On parle ici d’une culture qui fasse « vivre plus et plus profondément. Aujourd’hui elle n’est fondée sur rien, il n’y a plus de base générale, et pour dire les choses plus brutalement nous avons une production culturelle sans culture. » Ainsi « la géopoétique propose un nouveau fondement ».

Troisième définition :

« La géopoétique est à la fois l’étude de l’organisation inhérente à l’univers, la formation d’un monde humain et l’expression de cette formation. La poétisation du géopoéticien procède à la fois de l’investigation et de l’intuition. La géopoétique emploie la langue d’une manière à la fois souple et dense. » Par poétique « j’entends une dynamique fondamentale de la pensée » — d’où l’existence d’une poétique de la littérature, de la philosophie, des sciences, une poétique de la politique (pas pour demain cependant ajoute, complice, Kenneth White). Le géopoéticien se situe d’emblée dans l’énorme, l’encyclopédique. Mais il faut une force qui permette de charrier le quantitatif. Énorme est à prendre au sens de grand, mais aussi é-norme en dehors des normes : « en véhiculant énormément de matière terrestre avec un sens élargi des choses et de l’être, la géopoétique ouvre un nouvel espace de culture, de pensée et de vie, en un mot : un monde ».

 

 

 

voir Biocosmopoétique, Cosmoculture, Géognose, Géopoème, Poétique du Monde

 

 

Principales occurrences

AT, p. 26 ; CS, p. 9 ; DEN, p. 21-23, p. 33 ; EB, p. 89 ; EN, p. 178, p. 279-280 ; FE, p. 89 ; H, p. 116 ; LCGT, p. 32-33 ; LP, p. 60, p. 76 ; PA, p. 11-12-13, p. 27, p. 197, p. 229 ; PC, p. 123, p. 160 ; PE, p. 191 ; SP, p. 161, p. 198, p. 200, p. 201 ; TC, p. 11 ; Carnet de bord, n°3, p. 2 ; n°5, p. 3 ; latitudes n°5, p. 23 ;ALH, p. 334-342



Citations

"La géopoétique, c'est le corbeau de la vacuité volant à travers les mondes sensibles", SP, p. 161.

"Il faut essayer de concevoir un ordre-désordre, un pattern changeant. C'est vraiment quelque chose d'esthétique en dernier ressort", PC, p. 160.

"Géopoétique / Ce que Mallarmé / avait appelé / « l'explication orphique / de la terre » / mais plus près / de l'os, de l'aile / de la vague / et de la pierre", PE, p. 191.

"Et puis, au bout de tout le processus, la géopoétique pourra être considérée comme une nouvelle science globale, qui fait le pont entre les sciences séparées", LCGT, p. 32.

"En fait, de mon point de vue, phénoménologie, topologie de l'être, anthropologie fondamentale et autopoétique constituent des pistes d'approche de cette « science-art » que j'appelle la géopoétique", PA, p. 197.

"De temps en temps, on me demande une définition succincte de la géopoétique. En voici une, qui pourrait figurer dans un dictionnaire : « Tentative d'ouvrir un nouvel espace culturel en revenant à ce qui constitue la base même de la culture, à savoir le rapport entre l'esprit humain et la Terre, ainsi que le développement de ce rapport sur les plans intellectuel, sensible et expressif »", Carnet de Bord, n°3, Printemps 2005, p. 2.

"S’il fallait tenter une définition de dictionnaire, je dirais ceci : « Etude des rapports intellectuels et sensibles entre l'homme et la Terre, en vue de l'élaboration d'un espace culturel harmonieux »", LP, p. 76.

 

Commentaires

C’est en février 1979 que White a prononcé publiquement le terme pour la première fois dans le cadre d'une lecture-spectacle poétique (Le Monde blanc - itinéraire et textes) donné à Paris sous l'égide du Nouveau Commerce (cf. EN, p. 278 ; MB). White rapporte ainsi la genèse de la notion : "Automne 1979. Je voyage à travers les Laurentides, en route pour le grand espace blanc du Labrador. Une nouvelle notion en tête : celle de géopoétique. L'idée qu'il faut sortir du texte historique et littéraire pour trouver une poésie de plein vent où l'intelligence (intelligence incarnée) coule comme une rivière", SP, p. 198. Pour plus de détails sur cette conception, se référer au passage intitulé Approche de la géopoétique dans L'Esprit Nomade, p. 278 et dans Le Plateau de l’albatros, p. 13.

White a longtemps évité de donner une définition fixe, prématurée, de la géopoétique : "Ce que je n'ai pas donné, c'est une définition, et telle n'est pas mon intention. Des définitions partielles et passagères surgiront sans doute ici et là dans ces pages. Mais une définition globale serait contraire à la logique de l'ouverture en cours", PA, p. 40.

On savait pourtant très précisément ce que la notion ne recouvrait pas : "[...] La géopoétique n'a rien à voir avec un néo-chamanisme quelconque. Elle ne se réduit pas non plus à un lyrisme géographique, ou à une géographie lyrique, ou à une vague "poésie de la nature". La géopoétique ne se cantonne ni dans "la poésie" ni dans "l'art" surtout selon les conceptions courantes de ces activités (de grâce, pas de Land Art dans les grottes ! - laissons le karst tranquille). C'est une discipline transdisciplinaire, une philosophie, une anthropologie", KW, De la préhistoire à la post-histoire, Latitudes n°5, L'Atelier du Héron, 2007, p. 23.

 

Cheminement critique

Kenneth WHITE et Régis POULET, PG. Michèle DUCLOS, KW, p. 258-264.





Goélandais

 

 

Définition

 

Néologisme

 

« Langue » parlée par les goélands.

 

 

voir Académie des Goélands

 

 

Principale occurrence

MM, p. 207


Citation

A propos de Jack Kerouac : "Mais pour le moment, je me contenterai de ceci : OK, Jack, tu as fait de ton mieux, merci, vieux - et à un de ces jours, peut-être, dans un bar du cosmos, quelque part au nord de Los Angeles. Je te donnerai des nouvelles de l'Armorique, en goélandais", MM, p. 207.

 

Commentaires

"Quand j'étais enfant (c'est à dire pas encore "doué de parole", pas encore "maître du langage" - l'est-on jamais ?), mon plus grand plaisir était de quitter mon village sur la côte ouest de l'Ecosse et de m'en aller soit vers un coin reculé du rivage, soit dans les bois ou dans les collines de l'arrière-pays. Là, après avoir écouté attentivement, j'essayais d'imiter le langage des phoques, des mouettes, des hiboux... Il y avait là un désir d'étendre le langage humain, un désir d'intégrer l'humain à un contexte plus large que le contexte social. Longtemps, bien longtemps après, je me suis rendu compte qu'en agissant de la sorte, j'étais porteur d'une vieille nostalgie humaine. Jacob Boehme parle du « langage des oiseaux », dont l'homme a perdu le savoir. Dans nombre de traditions, sinon dans toutes, il est question d'un langage partagé par les hommes et les animaux. Je ne crois pas à ce mythe. Mais j’y reconnais un désir profond. Et je continue ma pratique « archaïque »", AL, p. 5. Voir aussi, LCGT, p. 78.

Dans son Eloge du Corbeau, White conclut ainsi : "Tous les oiseaux parlent / la langue de l'aurore / dans des dialectes divers", A, p. 27. On pourra se référer également au dialogue des mouettes dans le poème En passant devant l'université de Glasgow, TD, p. 147.

 

Cheminement critique

Anne BINEAU, La figure de l'oiseau dans l’œuvre de Kenneth White, HKW, p. 39-68.

 

 

 

Grand Rivage

 

 

Définition

 

Au cours d'un entretien, White répond ainsi à une question posée sur son installation en Bretagne : "J'y vois en tout cas le début d'un troisième cycle. Et l'intensification de mon intérêt pour une certaine géographie : celle de la côte ouest de l'Europe, qui va des côtes portugaises jusqu'aux archipels* écossais. Ce que j'appelle le grand rivage. La Bretagne est placée au milieu de tout cela. Peut-être que c'est une position stratégique pour moi", PC, p. 148.

 

 

voir Atlantique, Littoralité

 

 

Principales occurrences

A, p. 133 ; LP, p. 48 ; PC, p. 18, p. 31, p. 32, p. 95, p. 121, p. 148, p. 201 ; Fanal, p. 16 ; Latitudes n°6, p. 28 ; Lettres du Ponant, Terres de Brumes, 1999, p. 172



Citations

"En quittant la Grande-Bretagne, j'ai écrit un long poème, Le Grand Rivage. Je continue à marcher le long de ce rivage, qui est comme une grande marge sur la page surinscrite, ultracodifiée du monde*", Lettres du Ponant, Terres de Brumes, 1999, p. 172.

"Beaucoup me prennent effectivement pour le spécialiste du poème « diamantin », voire du haïku. J'éprouve donc toujours le besoin de rappeler que le long poème m'intéresse, parfois même le très long poème. Je pense bien sûr au Grand Rivage qui pour moi n'est pas un livre de poèmes mais un seul poème de 53 sections. A travers Atlantica, je renoue donc avec Le grand rivage (ces deux livres sont d'ailleurs géographiquement situés sur le même territoire) mais également avec Mahamudra*", PC, p. 121.

 

Commentaires

Le Grand Rivage est donc aussi le titre d'un long poème en 53 sections édité en 1980 au Nouveau Commerce. Ce recueil est tout d'abord paru en Grande-Bretagne dans une édition d'art à tirage limité sous le titre A Walk along the Shore (Circle Press, Surrey, England, Edition limitée à 95 exemplaires. Sérigraphies de John Christie, 1977).

Pour White : "Le Grand Rivage pose la question de fond, qui est aussi la question du fond : sur quoi peut-on fonder, sur quel terrain peut-on cheminer de la manière à la fois la plus profonde et la plus ouverte ? Une de ses épigraphes est tirée de Maître Eckhart : « Avance dans ton propre territoire et apprends à te connaître ». C'est justement ce « propre » qui pose question", Latitudes n°6, p. 28.

 

Cheminement critique

Michèle DUCLOS, "Quant au Grand Rivage, probablement l’un des plus beaux longs poèmes du XXème siècle, il est lié intimement à une longue marche méditative le long de la côte ouest de l’Écosse", Entretien avec Kenneth White, La marche, 9 mars 2007, Temporel n°3.

White a donné des pistes d'interprétation du poème dans le texte Le long du grand rivage, SP, p. 123-127. Voir aussi : Hugues ROBAYE, En arpentant Le Grand Rivage : l'autopoétique de Kenneth White, KWG, p. 9-20 ; LKW, p. 276 ; HKW, p. 50 ; l'entretien avec Claude VIVIEN publié dans PC, p. 27-32 et intitulé Grand Geste, Grand Rivage ; MOKW, p. 150.

Haïkuité

 

 

 

Définition


Néologisme (du mot japonais haïku, désignant un bref poème classique)

 

"Ce qu'il faut essayer de saisir, c'est ce que j'appelle la haïkuïté, l'essence du haïku, que Basho décrit comme « une branche de saule touchée par une brise légère et qui, pendant un court instant, se balance ». C'est ce que j'ai appelé tout à l'heure un rapport subtil entre le phénomène et le vide. Il y a un grand silence, puis un moment où le tout est subitement présent, et puis de nouveau le silence...", EB, p. 98.

 

 

voir Chemin étroit vers le Nord Profond, Haïkulturel, Promenade-Haïku, Zen

 

 

Principales occurrences

AE, p. 209 ; EB, p. 98, p. 99, p. 101


Citations

"Il fut un temps où, en matière de poésie, je ne m'intéressais plus guère qu'au haïku. Or, le haïku est l'expression même de ce rapport entre le phénomène et le Vide. C'est le plus bref poème qui existe. Mais il est possible d'aller vers une « haïkuité » de plus en plus grande (la haeccéité de Duns Scot n'en est pas loin). On peut considérer son existence même comme un haïku - ou, disons, comme un mahâmudrâ* : un grand geste dans le Vide", AE, p. 209.

"Ce que j'ai essayé de faire pour ma part, c'est d'intégrer la haïkuïté dans une pratique poétique plus large", EB, p. 99.

"On trouve dans la poésie celte un intérêt pour ces moments brefs qui caractérisent le haïku : un flocon de neige qui tombe sur une rivière par exemple. Et la haecceitas de Duns Scot (« l'être-là », le « comme ça » des choses) n'est, dans mon esprit, pas loin de ce que j'ai appelé la haïkuïté", EB, p. 101.

 

Commentaires

Kenneth White a écrit et publié de nombreux haïkus : Autumn at Luk Wu Temple (Orange Export Ltd, 1976) ; dans les recueils Mahamudra (Mercure de France, 1978) et Terre de Diamant (Alfred Eibel, 1977). Il a regroupé la plupart d'entre eux dans Le Chemin du haïku, Terrier, 1984 et dans L'Anorak du Goéland, L'Instant Perpétuel, 1986. Dans La Route Bleue, il évoque ce court poème : "Personne ne fera assez l'éloge du haïku. Ces poèmes qui vont droit au but et dont nous avons tant besoin. Ce n'est peut-être pas toujours de grands haïku que l'on écrit, mais même dans ce cas ils peuvent nous ôter un énorme poids des épaules - tout ce fardeau personnel. Ecrire un haïku, c'est sauter hors de soi-même, c'est s'oublier et prendre un bon bol d'air frais", RB, p. 145.

Sur l'esprit du haïku, se référer au chapitre Vent d'est, dans FD, p. 184-197 et au chapitre Une poignée de haïku dans LG, p. 172-175 ; Lire également Les Cygnes sauvages, un pèlerinage sur les traces de Basho et donc sur les sources mêmes du haïku (Grasset, 1990).

 

Cheminement critique

EB, p. 97 et suivantes ; KW, p. 202-204.

 

 

 

Haïkulturel

 

 

Définition

 

Néologisme. Mot-valise composé du terme "haïku", petit poème de 17 syllabes typique de la poésie japonaise et du mot "culturel".

 

Adjectif servant à désigner la tradition littéraire, culturelle, esthétique et philosophique qui entoure le haïku et son processus de création.

 

 

voir Chemin étroit vers le Nord profond, Haïkuïté, Promenade-Haïku, Zen

 

 

Principale occurrence

AT, p. 213

 

Citation

"J'ai déjà écrit ici et là sur le haïku, j'ai même commis l'imprudence de publier quelques petits livres haïkulturels, si je puis dire, mais jamais, peut-être, je ne me suis senti si proche de ces poètes (bien qu’ils soient autre chose que des poètes, du moins tels qu’on emploie le mot communément) et de l’atmosphère de leur poésie qu’ici sur la côte bretonne", AT, p. 213.

 

Commentaires

Par sa longue tradition et son rayonnement, le haïku constitue une culture à part entière qui a dépassé les frontières du Japon. A son propos, White écrit : "Aux haïkus ici présentés, je pourrais ajouter des commentaires où il serait question, par exemple, de sensation biocratique, de musique rudimentale, d'ascétisme jouissif, voire des trois mondes : celui du désir, celui de la forme, celui de la non-forme...", (Préface à la seconde édition du livre Le Chemin du haïku, Terriers, 1987).

 

Cheminement critique

Michèle DUCLOS, KW, p. 202-204.

 

 

 

Hyperboréen

 

 

Définitions

 

"Ainsi donc, j'emploie le terme « hyperboréen » dans deux sens apparentés :

 

1. Pour désigner l'homme qui, sur la base d'une révolte instinctive, entreprend une critique radicale de notre civilisation, qui lui apparaît gravement déficiente, et qui en outre s'est engagé dans une traversée vers quelque chose d'autre.

 

2. Pour désigner le complexe culturel circumpolaire nord-occidental et psychomental* dont les premiers Grecs avaient eu vent, mais qui fut plus tard obscurci par l'hellénisation, la romanisation, et la christianisation – et qui est le territoire culturel auquel les îles britanniques – rendues de plus en plus « brutanniques » par la domination de divers pouvoirs établis appartiennent initialement et fondamentalement", SP, p. 73.

 

"Personne ne sait rien des Hyperboréens. L'Hyperboréen est un homme en chemin erratique vers une région située par-delà. Les gens ne voient que l'erratique (les pierres qu'il laisse sur son chemin), mais lui voit par éclairs la région par-delà. De ce qui se trouve par là-bas, aucune définition n'est possible. On est à vingt mille lieux de toute civilisation", LI, p. 48.

 

 

voir Culturanalyse, Chemin étroit vers le Nord profond, Euramérasie, Nomade Intellectuel, Nomadisme Intellectuel

 


Principales occurrences

DEN, p. 38 ; EN, p. 174, p. 178, p. 252, p. 266 ; ETC, p. 58 ; FD, p. 36 ; LI, p. 45, p. 48-49, p. 58 ; PA, p. 52 ; PC, p. 185 ; RB, p. 74, p. 79 ; SP, p. 73, p. 84, p. 124, p. 163 ; VVE, p. 25 ; Goéland, Atlantique Nord, N°1, Printemps 2003, p. 14 ; In'hui p. 49


Citations

"Le mot « hyperboréen » dans mon vocabulaire remonte évidemment à Nietzsche. On se rappellera le premier paragraphe de son livre L'Antéchrist : « Nous sommes tous des hyperboréens. Nous savons très bien dans quel éloignement nous vivons. Au-delà de la mer et des glaces, notre vie, notre bonheur... ». Dans le vocabulaire de Nietzsche et dans le mien le mot hyperboréen indique une distance vis-à-vis de l'état de choses. L'Hyperboréen est quelqu'un qui ose dire : Non, je ne vais pas vivre de cette façon, je ne peux vivre selon ces normes là, je prends mes distances, je m'éloigne, et dans cet éloignement je vais essayer de travailler, je vais essayer de déployer mes énergies d'une autre manière que celle que m'offre la société. Je vais - égoïstement dira-t-on - essayer de me développer, d'ouvrir un nouvel espace de vie et de pensée, un espace existentiel et intellectuel. On ne peut pas les séparer", Entretien avec Robert Misrahi, Dans l’Océan de la pensée heureuse, Goéland, Atlantique Nord, N°1, Printemps 2003, p. 14.

 "Je crois que j’ai toujours eu l’intuition de ce monde hyperboréen, et depuis des années j’en recueille les traces et les signes. Il n’est pas facile de faire admettre l’existence d’un tel monde, tout cela étant occulté depuis si longtemps. Et puis, dans le contexte culturel actuel, ce que j’ai appelé le discours réflexe est si fort qu’il suffit de prononcer le mot Nord, par exemple, pour que certains entendent nazi, ou le mot Celte pour qu’ils entendent je ne sais trop quoi (quelque enracinement pétainiste dans la glèbe ?), mais surtout rien de recommandable ", FD, p. 36.

 

Commentaires

White a repéré le terme ailleurs que chez Nietzsche : chez Thomas Hardy, dans The Return of the Native (Le Retour au pays natal), chez Melville (voir Artus, n°16, printemps 84, p. 12, Au nord du monde), dans la mystique soufie (dans L’Esprit Nomade, White cite cet extrait de L’Homme de lumière dans le soufisme iranien d’Henry Corbin : « L’Hyperboréen symbolise l’homme dont l’âme a atteint une complétude et une harmonie telles qu’elle est sans négativité ni ombre », EN, p. 266). Précisons d’ailleurs que les sources qu’il cite sont les seules qui conviennent à l’interprétation de son œuvre.

On peut se référer aussi à La Lettre ouverte à tous les Hyperboréens, texte ancien de White repris dans Une Stratégie paradoxale, p. 65-75. Un chapitre des Limbes incandescents s'intitule Errances Hyperboréennes, p. 57.

 

Cheminement critique

Pierre JAMET, LGOWK, p. 16. Sur le Nord en tant que point cardinal tant géographique que de l'esprit, voir Michèle DUCLOS, KW, p. 32-34.

Institut international

de géopoétique

 

 

Définition

 

Institut fondé en 1989 par Kenneth White : "A l'heure qu'il est, cela n'étonnera personne si je dis que c'est tout le mouvement que je viens de décrire, depuis la crise de la civilisation actuelle jusqu'au rêve de quelques isolatos*, qui a mené à la genèse de l'Institut international de géopoétique", CG, Série Colloques, L'Autre Amérique, p. 149.

 

 

voir Académie des Goélands, Archipel, Atlantique, Cahiers de géopoétique, Texte inaugural

 

 

Principales occurrences

LCGT, p. 30, p. 32, p. 40 ; LP, p. 57, p. 100-101, p. 128-129 ; SP, p. 16, p. 17, p. 171, p. 210, p. 250 ; Carnet de Bord, n°3, Printemps 2005, p. 3 ; CG, Série Colloques, L'Autre Amérique, p. 149 ;Lisières, p. 37

 

Citations

"C'est de tout ce champ de travail qu'a surgi la notion de géopoétique*. L'Institut international de géopoétique a été fondé en 1989. Il compte maintenant des centres dans une dizaine de pays. Je ne sais pas si cette idée, si cet institut vont changer le monde. Mais on n’a pas besoin d'avoir une foi absolue, une croyance à toute épreuve, un espoir total, pour se mettre en mouvement", LP, p. 101.

"L'Institut international de géopoétique n'a d' « institutionnel » que le nom (en le baptisant, je pensais entre autres à l'Institute of General Semantics, fondé par Alfred Korzybski, dans le Connecticut, en 1938). Il se développe organiquement, comme un système ouvert", LP, p. 128.

"Quant à ma propre « institution », l'Institut international de géopoétique, dont l'organisation est anarcho-complexe, j'insiste toujours sur la nécessité de recourir aux textes fondateurs, et de bien comprendre le lexique de base", LCGT, p. 40.

"L'Institut international de géopoétique maintient sur la scène du monde* sa présence atypique, atopique*. Quant à son archipel*, il a une vie organique. Certains centres disparaissent (souvent par manque de point focal, ou à cause de la dispersion de leurs membres), de nouveaux centres voient le jour", Carnet de Bord, n°3, Printemps 2005, p. 3.

"La création de l’Institut :

Pourquoi fonder un Institut ?

Je viens d’évoquer la théorisation d’une idée intuitive et expérimentale (rien à voir, soit dit en passant, avec un « idéal »). Par rapport à une idée embryonnaire, fragile et exposée, la théorisation est comme une ossature. Je pense à ces amas flottants de matière-énergie qui peuplaient le monde il y a quelque 500 millions d’années, avant d’emprunter des éléments au monde géologique, minéral (le calcium, par exemple) pour se fabriquer un squelette, ce qui leur donnait à la fois de la force et de la mobilité.

Après la théorisation, l’institutionalisation représente un pas de plus. Là, nous ne sommes pas dans le domaine de la pure pensée, mais dans le champ de la politique, de l’organisation de la polis. Et, avec la géopoétique, dans son champ le plus vif, le plus dynamique : celui de l’éducation, celui de la culture (dans un sens que ces deux mots n’ont plus depuis longtemps).

Certains des philosophes que j’ai particulièrement admirés ont senti le besoin de fonder une institution à un moment ou à un autre. Sans remonter aux modèles classiques  – Platon et son Académie, Aristote et son lycée, Épicure et son jardin – je songe à certains poètes-penseurs modernes. Nietzsche aurait aimé pouvoir fonder une École du Midi, qui reprendrait, en plus vigoureux, l’inspiration du vieux consistoire du Gai Savoir. Ezra Pound aurait aimé créer une université du côté de Rapallo. Le poète Charles Olson était un des grands animateurs du Black Mountain College en Caroline du Nord. En concevant, en mettant en œuvre l’Institut international de géopoétique, je pensais aussi, par exemple, à l’Institute of General Semantics fondé en 1938 par le logicien Alfred Korzybski, concernant la possibilité d’élaborer un système non-aristotélicien (ce qui ne signifie pas un abandon d’Aristote), et la non-linéarité de nouvelles émergences.

Les modèles de structuration et de développement institutionnel les plus communs, qui remontent loin dans la mise en place de la civilisation et qui restent fixés dans les esprits, entraînant des applications et des oppositions diverses (c’est toute l’Histoire) sont : hiérarchie pyramidale, centre et périphérie, cercles concentriques, réseau. Un des plus intéressants, et certainement le plus récent, est celui de réseau. Mais les preuves sont là : sans noyau d’énergie (core), il s’éparpille, les messages se confondent, se délitent, se diluent.

J’envisageais une architecture spatiale plus complexe. Ni centraliste, ni décentraliste, et qui soit plus qu’une hybridation.

Ce que je dis là est abstrait. Mais sans abstraction on ne comprend pas grand-chose, on accumule du concret, on se noie dans les détails. L’Institut se compose à la fois d’un organisme complexe et d’une dimension abstraite.

À partir de mon schéma abstrait, j’ai procédé selon un empirisme ouvert, et en termes d’une géométrie grandissante, selon l’évolution de la pensée géométrique : d’abord euclidienne, ensuite affine, projective, différentielle, topologique.

« Tout un poème », m’a dit un jour un marin parlant du système de navigation nécessaire dans un certain secteur, semé d’écueils, de la mer bretonne.


L’archipélisation :

L’archipélisation, ah, l’archipélisation…

Quand, en 1993, j’ai proposé à l’Institut une « archipélisation », je savais pertinemment à quoi j’exposais à la fois l’Institut et l’idée géopoétique : dilution du concept, ambitions personnelles, tendances séparatistes.

Mais c’est le fait de s’exposer qui, si l’on sait maintenir une pensée claire et perspectiviste, peut faire avancer et se développer un système.

Ce que je voulais voir émerger à travers le monde, c’était (et c’est encore) une multitude de centres (ateliers, groupes – les noms peuvent varier) que je présentais, en termes imagés, comme des îles faisant partie d’un archipel, qui travailleraient, toujours en liaison avec l’Institut, notamment, mais bien sûr non exclusivement, dans des contextes locaux, puisant dans des ressources locales, en contact, éventuellement, avec des instances locales, ayant toujours à l’esprit l’idée géopoétique et son énergie mondificatrice (« mondification » plus intéressante et plus difficile que toute « mondialisation » massive à base géopolitique ou géo-économique).

Je ne veux pas entrer ici dans l’histoire, et surtout pas dans la petite histoire, il suffit de dire que les tendances possibles que j’avais pressenties n’ont pas manqué de se manifester, ici et là, à diverses reprises.

Ces « crises » passagères ont pu être réglées, et l’Institut a continué à avancer et à se développer.

Considérons les choses en prenant un peu de hauteur.

Ce que j’ai appelé l’archipélisation n’a jamais signifié (je l’ai précisé à maintes occasions, dans des textes, dans des conférences, dans des  entretiens que j’ai multipliés tout au long de ces années) la dissolution de l’Institut, seulement la complexification du système. Si recours a été fait, selon les usages du discours, à un substantif, « archipel » (peut-être même parfois, selon un tropisme linguistique anglo-germanique avec un A majuscule), l’accent a toujours été mis sur une dynamique active, qui indiquerait extension et expansion, non pas désagrégation.

J’ai eu affaire récemment à un argument logique, se situant au-dessus de tout simple réactionisme, qui m’a amusé. Puisqu’il est question d’îles et d’îlots, disait mon interlocuteur, cela indique la présence d’un archipel comme une entité en soi. QED. Mais si l’on prolonge l’image, la métaphore, la logique, comme je lui ai proposé de le faire, tout archipel fait partie d’un continent.

Mais laissons toute cette métaphorisation pour aller vers une métamorphose constante dans l’unité.

Celle-ci ne peut venir que d’un rapport dynamique entre les divers groupes, centres, ateliers et l’Institut, chaque membre d’un groupe étant conscient d’une appartenance plus large, sans jamais perdre de vue tout le contenu latent et tout le rayonnement possible de l’idée géopoétique.

Concernant la dilution possible du concept, j’ai eu récemment une conversation, amicale et amusante celle-là aussi, où le directeur d’un des centres de l’archipel m’a dit : « Après tout, on peut être géopoéticien à 50%, à 30%, à 10%… » D’accord, lui ai-je répondu, mais il ne faudrait pas qu’il y en ait trop qui restent à 10%, ce serait très mauvais pour l’image », sans parler du fait que si les 10% de géopoéticité se mêlent à des inepties, le résultat peut être pire que rien. La géopoétique avance et se développe, non pas tant par une « créativité » basée sur 10% de compréhension, mais sur une augmentation de la compréhension, sur l’évolution des esprits.

Voilà le travail qui est à faire à l’intérieur des centres, ateliers, groupes, l’Institut restant garant de la grande dimension géopoétique. C’est l’Institut plus son archipel, comme un ensemble complexe, qui aura la carrying capacity maximale, capable, éventuellement, non seulement de marquer l’Histoire, mais d’ouvrir un espace au large de l’Histoire, d’instaurer un espace-temps à côté duquel l’Histoire semblera une monstrueuse caricature du possible humain." (Précisions et perspectives — Lettre ouverte du 15 mai 2015)

 

 

Commentaires

Cinq ans après la fondation de l'Institut, White pouvait écrire : "Dès que j'eus lancé le mot, il sembla agir un peu comme un attracteur étrange. Il fut repris par d'autres, dans des contextes différents, pas toujours, et même assez rarement (notre époque est marquée par un mélange de paresse intellectuelle et une précipitation pseudo-communicative), avec la précision et les perspectives souhaitables. C'est pour cela, pour garder au mot toute sa puissance, toute sa potentialité, qu'en 1989, j'ai décidé de fonder l'Institut International de Géopoétique, qui aurait sa revue, les Cahiers de Géopoétique*. L'Institut regroupe actuellement quelque trois cent membres venant de milieux et de disciplines divers. S'y trouvent notamment des biologistes, des psychologues, des philosophes, des géographes, des écrivains (à la hauteur de nos exigences) et des artistes plasticiens. L'Institut a des centres (groupes, ateliers) dans plusieurs pays déjà, et d'autres sont en cours de formation. Je nommerai l'Atelier Géopoétique d'Aquitaine, situé à Bordeaux ; l'Atelier du Héron, qui se réunit au Rouge Cloître à Bruxelles ; le Centre de Géopoétique de Belgrade qui a lancé aussi une maison d'édition, Edicija Geopoetika ; le Centre de Géopoétique de Skopje, lié lui aussi à une maison d'édition. Mentionnons également l'Atelier Géopoétique de l'Amérique Nord, en voie de formation à Montréal ; Le Centre écossais de Géopoétique, en voie de formation à Edimbourg ; l'Atelier Géopoétique des Caraïbes, en voie de formation à la Martinique", Lettre au CIRET, Bulletin du Ciret, n°2, juin 1994.

 

Cheminement critique

Anne BINEAU, De l'Académie des Goélands* à l'Institut international de géopoétique, HKW, p. 62-67 ; MOKW, p. 85 ;Christophe RONCATO, KWOM, Historique Provisoire de l’Institut international de géopoétique, p. 197-216.

 

 

 

Isolato

 

 

Définition

 

"Il ne s'agirait donc pas, sauf en passant, par provocation, d'opposer « littérature française » à « littérature anglaise-américaine » (ou sud-américaine, ou orientale, que sais-je), mais de constater la présence, ici où là, d'isolés (Melville disait : isolatos), qui passent beaucoup plus de temps dans « le dehors » que dans le café, ou à des « loisirs » et qui, de ce fait, vivent et écrivent d'une manière radicalement autre", EN, p. 50.

 

 

voir Anarchiste de l'Aurore, Figure du dehors, Nomade intellectuel

 

 

Principales occurrences

AT, p. 124 ; DD, p. 25 ; EN, p. 50 ; LCGT, p. 64 ; CG, Série Colloques, L'Autre Amérique, p. 149 ; Lexique géopoétique, Poésie 98, Octobre, n°74, p. 15

 

Citations

"Mais on peut se plaire à l'imaginer, lui [n.b. : Jude l'obscur, le héros de Thomas Hardy], le « fou », revenant, non pas peut-être sous les traits d'un « écrivain », mais, disons, d'un nomade intellectuel (un Ismaélite de l'intelligence, un isolato de l'esprit) qui pratiquerait cette « autre folie » qu'est l'écriture", AT, p. 124.

"Mais, à l'encontre de Deleuze, je n'attribue pas l'origine de ce genre de trajectoire, chez moi et chez d'autres, à une aire anglo-américaine, mais à un isolement, un exode, un exil - Melville n'est pas « anglo-américain », il est, pour employer un terme que lui-même affectionnait, un isolato", DD, p. 25.

Définition de la Figure du dehors* : "Indique quelqu'un qui essaie d'évoluer en dehors des espaces codés et des systèmes de pensée-réflexe. Proche de l'outsider, mais ne se complaît pas dans le marginalisme, encore moins dans la bohème. Proche aussi de l'isolato*, tel qu'on le trouve, par exemple, dans La Baleine blanche de Herman Melville (« Appelez-moi Ismaël »), mais qui vise autre chose qu'une perpétuelle fuite en avant. Cherche, et trouve, une nouvelle configuration. Voir le livre d'essais qui porte ce titre", Lexique géopoétique, Poésie 98, Octobre, n°74, p. 15.

 

Commentaires

La notion d’isolement est fréquente chez White. Voir entre autres, Eloge de l’isolement in Le Passage extérieur, Isolario, etc… S’il emprunte le mot à Melville, qui lui-même l’a emprunté à l’usage marin italien, il prolonge l’extension que déjà lui donnait l’auteur américain.

Voici la manière dont Melville évoque l'isolato : "Comment il se fait que les « insulaires » soient meilleurs chasseurs de baleine que les continentaux, je ne saurais le dire ; mais le fait est qu'à bord du « Péquod », tous ou presque tous étaient originaires des îles, îliens solitaires [isolatoes] eux-mêmes, je puis bien le dire, îliens non pas tant à cause du retranchement de leur lieu d'origine d'avec le continent de l'humanité en général, mais parce qu'en réalité chacun vivait séparément et constituait son propre continent à soi seul", Melville, Moby Dick, Club français du Livre, p. 193, traduction d'Armel Guerne.


Cheminement critique

Christophe RONCATO, KWOM, p. 55-56

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