Quelle plus belle inconnue que la Terre ?
L’évidence de sa présence nous la fait souvent oublier. De temps en temps, collectivement, à l’occasion d’événements frappants qui mettent en jeu soit son activité propre (séismes, volcanisme) soit son étendue (conquêtes, exploitation), elle semble réapparaître.
Elle est pourtant la condition sine qua non de notre existence.
Le seul monde.
Depuis leur plateau ardéchois, nos ancêtres du Paléolithique ont assisté, il y a environ 36000 ans, à au moins une des trois éruptions de type strombolien du Suc du Bauzon, de la Coupe d’Aizac ou du maar de Ray-Pic dans le Bas-Vivarais. Dans l’obscurité, une fontaine de lave embrasait l’Ouest.
Les éruptions volcaniques sont parmi les plus impressionnants phénomènes naturels qu’il nous soit donné de voir sur Terre. Les éruptions stromboliennes conjuguent panache volcanique, projections de cendres et de bombes, coulées et fontaines de lave — le tout pouvant parfois être associé à une totale explosion du volcan. L’effet fut tel que les artistes qui ont orné la grotte Chauvet ont, en plusieurs endroits, représenté ces fontaines de lave en un brun rougeoyant. De fait, cette représentation est la plus ancienne dont nous ayons la trace.
Pour autant, le dialogue avec les volcans et, au-delà, les pierres, est loin d’être aussi récent. Le rift africain (Tanzanie, Kenya) d’où l’espèce humaine a émergé abrite en effet des volcans du même type, si bien que les hominidés de cette lointaine préhistoire ont probablement assisté aussi à des éruptions. En tous cas, les volcans africains leur ont fourni de quoi faire des outils dès l’Oldowayen, il y a trois millions d’années.
Quoi de plus primordial, quoi de plus essentiel que la matière ? Et la matière primordiale, c’est la Terre où l’homme habite depuis longtemps et qui lui a permis de se situer. C’est la Terre inorganique dont est faite la vie organique. L’opposition entre nature et culture est factice, parce que la culture en son sens intégral est un prolongement de la nature. Entrer dans un dialogue avec la matière pour en lire les lignes, les rythmes, tout en restant en harmonie avec elle, permet de porter la nature plus loin dans l’ouverture d’un monde.
A l’instar d’autres champs du savoir, la géologie est au service de l’agression à grande échelle d’une nature transformée, rendue de plus en plus disponible et utilisable. Les conséquences sont loin de n’être qu’environnementales. Depuis la Révolution industrielle au moins, la géologie a concouru à localiser et à mettre en exploitation les ressources naturelles : charbon, pétrole, gaz, métaux abondants tels que le fer, le cuivre et l’aluminium. La politique des états a été grandement guidée par ces considérations. Depuis la fin du XXe siècle, l’uranium est venu s’ajouter à cette liste. Mais alors que la transition vers une économie dite « décarbonée » — c’est-à-dire se passant des énergies fossiles — s’esquisse, le risque est de tomber de Charybde en Scylla. En perdant notre dépendance à ces énergies nous pourrions bien tomber dans celle aux terres rares : cobalt, indium, tungstène, platinoïdes, …, ces éléments sont devenus indispensables à une société de l’électricité renouvelable et du numérique.
Mais il existe aussi une voie qui estime que le meilleur chemin à suivre part du réel, que c’est un chemin poïétique, où l’on observe, entend et essaie de prolonger la productivité naturelle pour la porter, par une création de l’esprit — une poétique — plus loin. Comme tout provient de la Terre, c’est à elle qu’il faut s’intéresser en premier lieu. Tel est bien le point de départ de la géopoétique.
Élaborée depuis les années 1980 par Kenneth White, la géopoétique est un champ de convergence de la philosophie, des sciences et des arts qui permet de « repenser radicalement le rapport de l’être humain au monde, opérer une véritable transformation culturelle » (Le Plateau de l’Albatros, 1994)[1]. White rappelle que « le gisement d’origine de la géopoétique est constitué d’un ensemble qui comprend géologie, géographie, et les paramètres de l’espace sensible : le temps qu’il fait, la lumière. » (Le Champ du grand travail, 2002).
L’importance que la nature du sol et du sous-sol revêt du point de vue sensible et intellectuel, la façon dont cela a pu modeler la culture et surtout la ressource qui y gît pour opérer « une véritable transformation culturelle » seront au cœur de cette conférence.
Il nous faut pour cela une méthode. Celle-ci s’appuiera sur ce que l’on pourrait appeler analogiquement des opérateurs géologiques. Ils sont trois à englober l’ensemble des types de roches et des phénomènes géologiques : l’éruption, la sédimentation et le métamorphisme.
Les roches éruptives sont celles provenant du magma, ce pour quoi on les appelle aussi roches magmatiques ou ignées. Si elles traversent la croûte jusqu’à la surface on les dit effusives (ou extrusives : la lave des volcans), si elles s’arrêtent dans la croûte on les dit intrusives (ou plutoniques : le granite). Ce furent les premières roches de la Terre. Deux autres phénomènes interviennent qui génèrent des roches secondaires : la sédimentation et le métamorphisme.
La sédimentation s’effectue à la surface de la Terre à partir de l’altération de roches préexistantes de tous types (magmatiques, métamorphiques ou déjà sédimentaires). Ces roches sont presque toujours stratifiées et forment des couches dont l’épaisseur va du millimètre à plusieurs dizaines de mètres.
L’autre phénomène majeur qui produit de nouvelles roches à partir d’anciennes est le métamorphisme. Dans certaines conditions de pression et de température, des roches changent de structure et cristallisent de nouveaux minéraux. Ce peut être lors des collisions de continents, lors de l’enfouissement de plaques ou à l’occasion de contact avec des laves. N’importe quel type de roche peut être soumis au métamorphisme : magmatique, sédimentaire ou déjà métamorphique.
Il n’est pas nécessaire d’être géologue pour apprécier ces savoirs. Pour le géopoéticien, qui cherche à s’extraire mentalement aussi bien de ce que White appelle la médiocratie que de l’approche agressive de la Terre, ils peuvent préparer la survenue de l’évidence du monde, de sa pleine présence.
C’est donc à partir de ces phénomènes que nous allons frayer notre chemin, tantôt en suivant les hautes erres et les lignes de crête, tantôt en suivant une logique du grand large et des profondeurs, afin d’ouvrir la voie vers quelque chose de nouveau.
Nous allons suivre trois étapes : la première présentera les grandes lignes de l’émergence de la géologie comme élément culturel général et exposera les apports de la géologie à une vision nouvelle de l’homme dans le monde ; la deuxième étape définira ce que peut être la notion géopoétique d’une textonique de la terre avant que la troisième et dernière étape ne propose un chemin géopoétique vers une métamorphose du monde.
PREMIÈRE PARTIE :
ÉMERGENCE DE LA GÉOLOGIE
Quoique formé de radicaux grecs, le mot ‘géologie’ ne date que du Moyen Âge, quand geologia désignait l’étude de tout ce qui était terrestre (dont les sciences humaines) par opposition à ce qui était divin. Non pas que l’Antiquité n’ait pas observé le monde ni réfléchi à son histoire naturelle, mais cela ne fut pas constitué en un savoir global à propos de la Terre.
De façon presque souterraine, l’histoire de la géologie est liée à celle du livre. Je veux parler de la notion de LIVRE-MONDE et de MONDE-LIVRE.
Selon Alberto Manguel, dans son Histoire de la lecture (1998), l’idée que le monde est un livre remonte à la rhétorique de l’église catholique. De là, elle serait passée chez les philosophes mystiques du Haut Moyen Âge pour devenir ensuite un lieu commun.
Un autre changement est intervenu durant le Moyen Âge à l’égard des livres — aussi bien, pourrait-on dire, à l’égard du livre-monde — par l’intermédiaire de Richard de Fournival au XIIIe siècle. Celui-ci est entré dans un dialogue à distance avec Socrate, à propos de l’intérêt des livres. Le maître en maïeutique exprima en effet à Phèdre le peu de cas qu’il faisait de l’écriture dont la mémoire a tout à craindre : oubli de la connaissance, pseudo science, arrogance... À cela Fournival répond que la mémoire gardée dans les livres permet aux hommes, dont la vie individuelle est trop courte, de s’enrichir des connaissances de ceux qui les ont précédés. Socrate, comme d’autres grands maîtres de la transmission orale, affirmait que la lecture ne peut qu’éclairer ce que le lecteur sait déjà, et que la connaissance ne passe que par le bon lecteur — celui qui peut transmettre. Fournival, lui, ne considère pas le livre comme des lettres mortes, au contraire : c’est par le livre que se fait la transmission. Selon lui, la lecture enrichit le présent et actualise le passé ; quant à la mémoire, elle prolonge ces qualités dans le futur. Dans l’analogie entre monde et livre, c’est exactement ce que fait la sédimentation : les strates gardent la mémoire de la Terre, des phénomènes et des êtres qui ont vécu. Leur lecture permet de comprendre le présent et donne accès, par la paléontologie ou par la biologie évolutive, à la dynamique temporelle (voire spatiale) du vivant et des éléments naturels. Certes, entre le temps de Socrate, celui de Fournival et l’émergence de la géologie, on ne parle pas des mêmes livres.
Si l’on ne considère pas les signes (digités par exemple) de l’art pariétal comme de l’écriture, alors les tablettes mésopotamiennes primitives carrées (mais parfois oblongues) en glaise, réunies dans une poche ou un coffret de cuir dans un ordre déterminé (peut-être même des codices) étaient des répliques des schistes, ces roches sédimentaires ardoisées qui se débitent en feuillets plus ou moins épais. Avec le codex fait de parchemin puis de papier, l’on se rapproche encore plus de ces exemples naturels où est enregistrée la mémoire des temps anciens.
L’invention de l’imprimerie changea le cours des choses. Il faut pour cela regarder dans le détail. Dans cette matrice conceptuelle qu’est le livre-monde (ou le monde-livre), l’analogie entre la trace et la vie devient encore plus évidente. De même que l’impression d’un livre se faisait dès lors par la pression d’un moule positif des lettres, la fossilisation se fait par un moulage de l’organisme mort. L’étude des conditions d’enfouissement (appelée taphonomie) montre par ailleurs que le moulage interne et le moulage externe de l’organisme peuvent rencontrer bien des aléas, à tel point que ce qui ne s’est pas fossilisé est supposé ne pas avoir existé — ou alors par inférence. Ce sont des phénomènes analogues qu’on observe pour ces objets culturels que sont les livres : ils peuvent ne pas être conservés ou l’on peut ne connaître leur existence que par inférence, par exemple une citation dans un autre texte.
Bien avant les travaux de Philippe Descola (Par-delà nature et culture, 2005), l’anthropologie d’André Leroi-Gourhan était ancrée dans le biologique et l’évolution considérée comme la matière travaillant sur elle-même : « ‘Le monde vivant est caractérisé, écrit Leroi-Gourhan, par l’exploitation physico-chimique de la matière’. C’est une autre façon de dire que la culture est une option de la nature ou que l’institution est une stratégie concurrente de celle qu’on appelle instinct. »[2] Il ne faudrait pas en déduire pour autant que ce continuum entre matière inerte et matière vivante soit un acquis ancien. Ou alors, tout dépend de ce qu’on appelle ancien.
En effet, l’anthropologue est bien placé pour savoir que les artefacts techniques de la Préhistoire ne sont pas le résultat d’un projet imposé à la matière mais, au contraire, qu’ils sont une adaptation de l’esprit aux caractéristiques de la matière. Le jeu de l’esprit, de la main et de la matière est toujours, selon Leroi-Gourhan, conditionné par cette dernière. L’esprit humain — mais des animaux ont prouvé leurs capacités en ce domaine — étudie la matière pour voir quelles sont les possibilités qui s’offrent à lui. La paléontologie regorge d’exemples attestant que ce sont les conditions matérielles d’existence des êtres vivants qui conditionnent leur morphologie.
Intéressons-nous maintenant à la façon dont la constitution du savoir géologique a influencé, bien au-delà de son champ de connaissance, la représentation de l’être ou comment a émergé une GÉOLOGISATION DE L’ÊTRE.
Dès l’Antiquité, des explications relatives à l’histoire du genre humain ont été proposées, par exemple celle des âges de l’humanité d’Hésiode.
Pour Vico, au XVIIe siècle, les nations passent par trois âges : divin, héroïque et humain et, lorsqu’elles disparaissent, c’est pour mieux renaître de leur peuple.
Avec la naissance de la paléontologie (nom créé en 1822), le champ de réflexion relatif à l’espèce humaine s’est considérablement élargi. Plus question de balayer d’un revers de la main les questions soulevées par la géologie, d’autant plus que son essor fut lié à la révolution industrielle dès l’aube de cette dernière, aussi bien en Grande-Bretagne qu’en Europe continentale.
On peut considérer, malgré de brillantes exceptions comme Teilhard de Chardin, que la première contribution de la géologie fut de permettre, à l’époque des Lumières et dans leur sillage, de quitter définitivement l’orbe des spéculations bibliques — et théologiques dans le meilleur des cas.
En somme, ce que la géologie, et notamment la paléontologie, a apporté depuis le XVIIIe siècle à la perception de l’Histoire, c’est la stratification de l’expérience humaine et sa parenté avec les phénomènes naturels caractérisant le monde vivant dans son ensemble[3]. Ernst Haeckel, dont nous aurons encore l’occasion de parler, en tira son monisme biologique. Mais la sédimentation culturelle ne serait qu’un phénomène alors qu’elle est devenue, notamment depuis la fin du XIXe siècle, le support d’une méthode théorisée plus récemment par Kenneth White :
LE NOMADISME INTELLECTUEL
Dans un entretien abordant entre autres sujets la géologie, Kenneth White évoque un « style textonique » auquel il faudrait s’exercer en pratiquant, dit-il, la stratigraphie, l’étude des couches sédimentaires et, de préciser : « je pensais : couches sédimentaires de culture »[4]. Ces couches sédimentaires de culture sont bien autre chose qu’une simple métaphore. L’analyse qu’il en a faite, la culturanalyse qui caractérise ses essais depuis La Figure du dehors (1982), a en effet pour objectif de parcourir dans ses dimensions temporelle et spatiale toute la culture humaine, de la Préhistoire au XXe siècle, afin d’en extraire les éléments à la fois spécifiques et universels d’un rapport vivant à la Terre. Cette approche de la culture, le nomadisme intellectuel de White (dont les prémisses remontent bien avant sa thèse de 1979) a d’abord consisté à cartographier la culture humaine pour y repérer des éléments occultés.
Plutôt qu’une archéologie du savoir (Foucault), White pratique avec le nomadisme intellectuel une paléontologie de la culture : « le nomadisme intellectuel consiste en la recherche, à travers l’histoire des cultures, de foyers d’énergie. Mais il y a aussi une relation profonde à l’espace. Et petit à petit le nomadisme intellectuel se mue en géopoétique. »[5]
Il serait aisé de poursuivre l’analogie entre la sédimentation et l’histoire de l’humanité. Nous pourrions ainsi rapporter les différentes civilisations à la classification des roches sédimentaires ; nous pourrions transcrire en richesse faunistique la richesse culturelle — et même analyser leur rapport au monde ; nous pourrions aussi suivre les idées comme les taxons (c'est-à-dire un regroupement d’organismes vivants partageant des traits communs), d’une couche à une autre, et montrer leur évolution ; enfin leur épaisseur et leur extension signeraient leur durée et leur rayonnement... Ce serait sûrement distrayant, mais si la typologie tournait au système nous en perdrions l’intérêt principal : dynamiser notre représentation du phénomène humain en effaçant les frontières entre organique et inorganique.
Envisageons maintenant la STRATIFICATION DES ORGANISMES
Replacer l’homme dans un contexte plus large que l’humanisme et abandonner l’anthropocentrisme, cela a été fait bon gré mal gré dans la culture la plus avancée. Il n’a d’ailleurs jamais été aussi facile pour quiconque d’accéder à autant de connaissances qu’à notre époque. On peut donc espérer que rares sont ceux ignorant que la Terre a une histoire de plusieurs milliards d’années, que l’être humain est un animal d’apparition très récente, que sans un rapport tout à fait approprié au monde, celui-ci devient immonde, et que si l’homme a la vie, la conscience et l’intelligence, il est loin d’être le seul — et que ce n’est d’ailleurs pas en raison de la descente (‘incarnation’) d’une puissance dans la matière, mais en vertu d’une capacité auto-organisatrice de celle-ci.
Mais poursuivons notre analyse en déplaçant l’attention de l’espèce et du groupe vers l’individu. Posons d’emblée que pour Kenneth White, dans la géopoétique et donc dans cette conférence, la notion de sujet n’est jamais restreinte à sa dimension socio-personnelle. Non pas qu’elle soit niée, mais elle ne constitue, au mieux, qu’un cadre étriqué et, au pire, qu’une cage mortelle (avec une sémiologie autoréférentielle). A quoi ferons-nous donc référence ?
La géopoétique met en place un nouveau paradigme culturel, si bien que, d’une part, elle ne saurait déjà préciser le référent socio-culturel d’un équivalent du concept de personne, et, d’autre part, il est certain que ce ne pourra être qu’un concept ouvert sur le monde — tel qu’il a existé de-ci de-là, chez les Mélanésiens ou en Inde. Le nomadisme intellectuel sous-entend qu’il n’y aura en revanche aucune adoption de telle ou telle représentation issue du passé. Elle est à construire, ou plutôt, pourrait-on dire dans une logique négativiste et érosive comme les pratique White, à déduire au sens propre : « Il s’agit d’abord d’agrandir l’espace. / De brûler, par le feu ou par le froid, le petit moi. »[6] Il a pu appeler cela, en référence à l’Orient, ‘conscience cosmique’ :
« [...] ce que nous avons perdu, c’est peut-être la conscience cosmique. Nous vivons avec une conscience personnelle, enfermée sur elle-même, qui a besoin d’une extase, d’une transcendance verticale pour sortir de soi. Par rapport à cette conscience personnelle angoissée qui a besoin, soit de se socialiser, pour sentir une espèce d’humanitarisme, soit de se verticaliser dans un transcendantalisme, j’essaie de pratiquer une conscience qui dépasse la personne, de sorte que l’on ne vit pas avec une conscience de sa personne séparée des autres et du monde, mais dans la sensation d’une présence plénière. »[7]
Mais dès lors que le terme de ‘géopoétique’ a été choisi pour faire apparaître qu’il s’agit d’avoir conscience de la Terre et du Cosmos et non de se réfugier dans une sorte d’arrière-monde cosmique en oubliant la Terre, cette ‘conscience cosmique’ peut laisser place à une autre dénomination : la « géologisation de l’être » — par quoi il désigne « quelque chose qui pénètre plus loin que la psychologie, jusque dans l’os, si je puis dire »[8].
Ce qu’a initié la géologie — d’abord ce qu’on appelle la géologie historique, puis la paléontologie — pour une reconsidération de ce qu’est l’être humain est déjà considérable. Elle a tout d’abord permis de fonder sur des observations et des analyses ce qui n’était appuyé que sur des textes révélés et des spéculations. Elle a approfondi de façon abyssale l’échelle des temps, a resitué la place de l’homme dans cette nouvelle perspective : pas en position centrale ni sommitale, et très récente. Elle a également ouvert la nature humaine sur le monde, elle qui était auparavant perçue comme une monade.
On songe à Charles Darwin, mais Ernst Haeckel s’est montré tout à fait audacieux, en déclarant, à partir de ses observations naturalistes en biologie et paléontologie, que non seulement il n’y avait qu’un seul principe dans la nature, mais qu’en conséquence, il fallait désormais classer la psychologie dans la physiologie, et ce sont de nouvelles bases dont s’emparera un disciple de Freud : Sándor Ferenczi. La théorie de Haeckel tient en une phrase : « l’ontogénèse récapitule la phylogénèse ». Au XIXe siècle, les observations concernant le développement des embryons (l’ontogenèse) furent rapprochées des arborescences évolutives (phylogenèse) mises en place par Haeckel grâce à la paléontologie. Et l’on s’aperçut que l’embryon retrouvait dans son développement les caractéristiques des ancêtres : il les récapitule et ajoute, à la fin, la caractéristique propre au taxon.
A partir de cette idée de récapitulation, Ferenczi a donc tenté de jeter, il y a environ cent ans, un pont entre psychanalyse et biologie. Ce que la bio-analyse fait : « considérer l’organisme comme un texte hiéroglyphique, sédimenté au cours de l’histoire de l’espèce »[9]. On peut difficilement proposer plus belle conjonction d’écritures. C’est pour ainsi dire une formulation quasi géopoétique d’où ressort la continuité du faire (poïein) entre l’inorganique et l’organique.
DEUXIÈME PARTIE :
UNE TRANSFORMATION CULTURELLE
Contrairement à d’autres tentatives de transformation culturelle, la géopoétique n’essaie pas de transformer l’individu dans une culture donnée mais de poser différemment et radicalement la question. Le nomadisme intellectuel travaille en amont des spécificités culturelles et, sans les nier, les dépasse. Comment ? Par la racine : la Terre.
Aussi, dès lors qu’une pensée de la Terre est mise au jour à partir du savoir vivant des sciences, dès lors que la géologisation de l’être devient manifeste, s’ouvre le champ des possibles pour une transformation culturelle universelle.
Abordons la question DES FLUX & DES FORMES
L’anthropologie d’André Leroi-Gourhan, nous l’avons dit, considère la matière comme le lieu de la complexité, et l’évolution des formes vivantes comme une exploitation physico-chimique de la matière. Ce continuum géo-biologique est prolongé par un continuum bio-ethnologique. Pour lui, il n’y a non seulement pas d’opposition entre nature et culture — puisque celle-ci peut être considérée comme une option de la nature, l’instinct pouvant être concurrencé par l’institution — mais il y a même renversement de la perspective aristotélicienne traditionnelle : « c’est la matière qui conditionne toute technique et non pas les moyens ou les forces. »[10] Leroi-Gourhan a une approche quelque peu différente de Heidegger : « l’histoire de la technique est celle de l’exténuation — ou encore de la dévitalisation — du geste, progressivement abandonné, pour ne pas dire, même écarté, au profit de son calque symbolique ». Aussi pour ‘revitaliser’ le geste technique est-il besoin de retrouver la connaissance archaïque de la matière, augmentée des acquisitions de l’intelligence humaine : « il y a deux grands gestes techniques : prendre et frapper »[11]. Cette matière qui résiste, le geste et le rythme la mettent en relation avec elle-même comme forme. Parce que la forme pure est une absurdité : la forme reste matière ; de même, toute fonction reste rythme. Si, en tant qu’anthropologue, Leroi-Gourhan en reste là, nous pourrions ajouter que la matière tend à devenir forme : en-deçà de la biologie de l’évolution sollicitée par Leroi-Gourhan, la géologie le prouve d’évidence.
Afin de garder à la substance son caractère primordial et multiple, Kenneth White a forgé le paradoxal terme d’anarcho-archaïque. Dans « Le Manifeste chaoticiste », il parle de « mots sans langage / syntaxe fragmentaire / et pourtant cohérence / poème-chaos », et il évoque une « économie de la présence » :
(anarchie archaïque —
Le chaoticisme n’impose pas une rationalité au monde, il ne mathématise pas la nature, c’est-à-dire qu’il ne soumet pas le réel à un projet mais part du réel, d’une observation où les concepts sont à égale pondération avec les percepts, il ne cherche pas une unification réductrice mais il accepte — au moins comme hypothèse heuristique — l’irréductibilité du chaosmos.
« Si monde signifie le modèle fixe de perception et d’existence auquel le non-poète s’adapte plus ou moins pathologiquement, le poète vit et pense dans un chaos-cosmos, un chaosmos, toujours inachevé, qui est le produit de sa rencontre immédiate avec la terre et avec les choses de la terre, perçues non comme des objets, mais comme des présences »[13]
Lorsque le moi s’ouvre totalement aux sollicitations du soi, naît une ivresse qui permet de « rester fidèle à la Terre », et c’est ce que Nietzsche appelle art dionysiaque. Avec une approche moins exaltée et surtout plus spatialisante, Kenneth White dessine un art nomade coupant court à l’hyperbole du moi dans laquelle a fini par se perdre le génie de Sils-Maria :
« Une fois le terrain dégagé, une fois ‘dehors’, les choses se complexifient. Il ne s’agit pas d’imposer des formes au chaos, il ne s’agit pas d’envelopper les choses et les perceptions premières dans un discours secondaire. Le sentiment, l’imagination, les rythmes réguliers, les formes prescrites, ce n’est rien à côté de l’expérience totale du sensible. Il s’agit dans ce contexte-là de s’y exposer, de s’y intégrer de telle sorte que des formes surgissent d’elles-mêmes. Ce n’est pas ‘un style’ qui est en jeu, c’est comme une force cristallogène. »[14]
Je parlerai d’un ART NOMADE & d’un long CHEMIN MÉTAMORPHIQUE
Commençons par examiner cela en prenant pour support les Investigations dans l’espace nomade :
« Dans le nomadisme, il existe un rapport à la terre qui n’est ni de l’ordre de l’exploitation (« ressources naturelles »), ni de l’ordre de la sacralisation, que celle-ci prenne la forme d’un mythe généalogique (totémisme du territoire), ou d’un rituel de sacrifices propitiatoires aux dieux du sol. Le rapport est de l’ordre du parcours, de l’itinéraire. On ne plante pas, on ne prie pas — on prend des repères : tel rocher, telle crête, tel arbre... »[15]
« L’art nomade, c’est un art qui n’a plus de fondements ontologiques et qui n’a pas de visées métaphysiques. C’est un art qui évolue en lignes et en spirales sur la surface de la Terre. Un tel art est-il superficiel ? Pas plus que le vent. J’ai vu, ici et là, le vent écrire des paysages profondément intéressants sur le sable des rivages et du désert. »[16]
« Celui qui étudie de près et longuement la physique de la terre, dit [D’Arcy Thompson], doit reconnaître que ‘les phénomènes physiques ont des formes tout aussi belles et tout aussi variées que celles que nous admirons chez les êtres vivants : les vagues de la mer, les lignes cannelées de la plage, la grande courbe de la baie sablonneuse qui s’étend entre deux promontoires, la silhouette des collines, la structure des nuages. Tous ces phénomènes constituent autant d’énigmes, autant de problèmes de morphologie que l’étudiant de la physique de la terre peut lire et résoudre avec plus ou moins de facilité, plus ou moins de difficulté’. »[17]
Ces exemples relèvent presque tous de la géologie — sédimentologie, hydrodynamisme, géomorphologie —, et l’on pourrait même ajouter qu’une solution de continuité existe entre ces phénomènes et les êtres vivants : les échelles peuvent changer mais les contraintes morphologiques rester les mêmes. Poursuivant les réflexions de D’Arcy Thompson, Vincent Fleury arrive à la conclusion que la forme des animaux tient non pas à des propriétés chimiques mais à des propriétés mécaniques de la matière. Il montre ainsi que ce sont les lois de la physique, les propriétés matérielles de l’objet et les conditions initiales qui déterminent les formes des êtres dits inanimés et des êtres vivants. Comme pour les espèces minérales, pour les strates ou les montagnes, l’apparition d’un nouvel animal consiste en une modification de l’intensité ou de l’organisation spatiale des forces de poussée. Dit autrement : « le développement d’un corps est un écoulement de type cristal liquide gélifié »[18]. Il existe par conséquent des champs de forces inhérents aux différents états de la matière et qui ne sont pas en nombre illimité. Les analogies de forme entre « règnes » ne sont ni fortuits ni le résultat d’une intention transcendante.
C’est bien ce que pense aussi Marie-Claude White dans son texte « Art naturel ou artefact » et sous-titré « La photographie comme medium de la connivence »[19]. Passant en revue les diverses appréciations du rapport entre l’art et la nature — elle qui pratique une photographie que l’on pourrait dire minimaliste dans son intervention et ontophanique dans son expression —, elle n’esquive aucune objection. Mais toutes reviennent peu ou prou à un anthropocentrisme qui veut voir dans un dessin un dessein, des positions qui perpétuent un hiatus (si ce n’est une opposition irréductible) entre nature et culture, bref, une position plus axiologique valorisant l’être humain que proprement esthétique.
La position de Roger Caillois considérant que « la nature ne fournirait pas seulement une réserve de modèles, [qu’] elle créerait directement des ouvrages dignes d’admiration et capables de rivaliser, sur le même plan, avec les réussites humaines »[20], a été considérée comme scandaleuse. Caillois affirme qu’en-deçà même de la biologie, l’homme partage avec les pierres le même tissu et que cette homologie se retrouve jusque dans les agencements géométriques que l’on a coutume d’appeler art. Le monde est-il un ready made ou bien, comme le considère Marie-Claude White dans son travail photographique, s’agit-il d’une dialectique : « je dirais que le langage qui m’intéresse n’est pas seulement physique, que c’est un langage commun, un langage à deux voix, le monde, comme j’aime à le dire, fournissant les mots, et moi la syntaxe »[21] ? L’on voit bien la différence : syntaxe générale à discerner et à prendre telle quelle du côté de Caillois ; et pour Marie-Claude White coprésence de l’artiste et du monde naturel dans un dialogue où la photographie, en l’occurrence, permet de faire advenir un monde.
Venons-en à la notion d’OROGENÈSE POÉTIQUE
La production de matériau, qu’il soit sédimentaire ou culturel, ne présage en rien de la création de nouveaux sommets. L’émergence des montagnes ou orogenèse implique certes une grande quantité de matériau sédimentaire. Mais il en faut davantage pour qu’il y ait relief. Les sédiments peuvent bien s’accumuler pendant des millions d’années, si rien ne vient les mobiliser, ils ne constitueront qu’un bassin sédimentaire et un paysage plat.
L’orogenèse implique une collision, donc la mise en jeu de forces colossales.
Du point de vue culturel, l’accumulation de matériau est indispensable sans être suffisante. Les grandes œuvres, les grands auteurs s’appuient sur une masse considérable de documents (littéraires ou non) ; mais il ne suffit pas d’être le dernier venu, le dernier à sédimenter pour se retrouver sur les sommets, car un empilement ne fait guère qu’un monticule, pas une montagne. Raison pour laquelle, soit dit en passant, la production sans précédent de matériau culturel à notre époque a tout d’un monceau sans force cohésive, et que nous avons plus le sentiment de nous retrouver assis sur ou au milieu d’un fouillis prêt à s’écrouler que sur une montagne solide qui nous emporterait bien au-dessus de la platitude culturelle.
L’orogenèse poétique implique le déploiement d’une énergie énorme[22].
On retrouve à l’origine d’un cycle orogénique ou tectonique l’ouverture d’un océan en raison d’une remontée de la limite entre la croûte et le manteau supérieur. La croûte terrestre étant entièrement constituée d’un assemblage de plaques océaniques et continentales (plus légères), l’ouverture d’un océan repousse de part et d’autre de la dorsale ainsi créée les plaques continentales, d’abord, puis, par un jeu d’ajustements, d’autres plaques non contiguës. L’ouverture provoque donc l’antagonisme générant le cycle orogénique. Deux scénarios sont possibles. Première possibilité : la collision de deux masses continentales (ou de deux marges continentales) provoque leur affrontement, leur bourrèlement, leur chevauchement. La conflictualité est visible et, du point de vue des conditions de métamorphisme, les pressions et températures vont de faible à fort. Deuxième possibilité : la croûte océanique plus lourde passe sous la croûte continentale et plonge dans le manteau supérieur, les roches fondent et remontent à travers la croûte pour former des roches magmatiques. Les conditions métamorphiques sont fortes.
Ajoutons à cette explication que l’ouverture et la fermeture d’un océan, qui encadrent le cycle, sont liées à la tectonique des plaques. Ainsi les sédiments préalablement accumulés se retrouvent plissés et soulevés pour former une chaîne de montagnes. La fin du cycle correspond à l’arasion progressive du massif jusqu’à la pénéplanation.
Ajoutons encore qu’un cycle orogénique — on en compte quatre en Europe : cadomien, calédonien, hercynien et alpin — est composé de phases tectoniques dont les caractéristiques sont de se manifester dans un domaine assez vaste en un bref laps de temps ; d’être en nette discordance avec ce qui leur succède ; de s’opposer par leur discontinuité aux mouvements des plaques lithosphériques.
Il existe un CYCLE ORO-GÉOPOÉTIQUE
Comme tout cycle naturel, le cycle géopoétique réutilise les mêmes éléments, les mêmes matériaux. Discerner dans l’histoire humaine les divers cycles orogéniques poétiques — les uns cantonnés à une région, les autres affectant des continents entiers — revient peu ou prou à faire le travail des Spengler, Toynbee ou Frobenius. Mais au-delà de l’analogie que nous avons déjà développée entre civilisation et paléontologie, qui tend une fois de plus à prouver que la culture humaine réitère les processus naturels, intéressons-nous, ici et maintenant, à ce que Léo Frobenius appelait des « frémissements » pour sortir de la modernité métaphysique par un dépassement du réalisme anglais, du matérialisme américain et du rationalisme français qui informent la pensée scientifique et philosophique occidentale moderne. Autrement dit : examinons comment le cycle géopoétique s’est engrené pour dépasser (vers le haut et de nouveaux sommets) la modernité. Ce cycle orogénique est à échelle mondiale.
Le nomadisme intellectuel développé par White traduit d’abord la mise à disposition d’un matériau sédimentaire universel. Le cycle oro-géopoétique mobilise potentiellement les sédiments (ou documents) de tous les précédents orogènes, où qu’ils aient eu lieu. Le nomadisme est d’abord un changement de paradigme dans la pensée : au lieu de l’histoire, la géographie. C’est-à-dire penser non pas par rapport à une intériorité mais en rapport avec une extériorité.
La géopoétique et le nomadisme intellectuel, pour en revenir à l’analogie géologique, ont eu leurs prémisses au XIXe siècle alors que remontait dans notre civilisation l’appel pour une vie plus grande, une vie qui lierait l’homme non pas seulement à lui-même mais au monde. L’écart de plus en plus grand entre l’homme et le monde fit naître un océan, qu’on pourrait qualifier de mélancolique chez les Romantiques, mais White est beaucoup plus loin dans l’analyse par sa lucidité et son perspectivisme — océan qui n’a, depuis, cessé de s’agrandir. Tôt dans son œuvre, White écrivait : « Je suis un survivant d’une grande catastrophe et j’essaie de rétablir les communications. »[23]
Si Kenneth White a parfaitement documenté et expliqué cette béance entre les hommes et le monde, nous aimerions ici intégrer sa culturanalyse à un champ allant au-delà de la métaphore géologique, en utilisant un paradigme qui ne sépare pas ce qui est de l’ordre de la pensée de ce qui est de l’ordre de la nature.
Le cycle oro-géopoétique a débuté il y a environ deux siècles. Où en sommes-nous ? Nous ne saurions dire autre chose qu’il est en cours… Jusqu’à ce que, théoriquement, se referme l’océan séparant l’homme du monde. Le cycle a connu de multiples phases tectoniques où des auteurs (de auctor, comme le lit White, « celui qui augmente ») ont dérivé sur l’océan à la recherche de l’autre rive, celle de l’anarcadie[24]. Chacun d’eux a poussé aussi loin que ses forces le lui permettaient. L’ensemble forme une chaîne dont les (h)auteurs varient. J’ai identifié sept phases, de Novalis à Humboldt, de Thoreau à Melville, de Rimbaud à Cendrars, de Segalen à MacDiarmid, d’Artaud à Saint-John Perse, de Jeffers à Snyder ; dans la septième phase, White a accompli plus qu’aucun autre dans le cycle oro-géopoétique : il a canalisé les énergies des phases précédentes ; il les a syntonisées — pour emprunter un terme à la physique ; il a mobilisé avec le nomadisme intellectuel des éléments culturels du reste de l’Eurasie ; il a surtout inventé — au sens de découvrir et nommer — le cycle géopoétique.
Puisqu’on parle de phases textoniques, on distingue, en sismologie, les ondes de volume et les ondes de surface. Pour ce qui concerne la diffusion de l’onde de choc géopoétique whitienne (pour ne parler que de celle-ci), ou plutôt du train d’ondes au cœur de la septième phase textonique du cycle oro-géopoétique, nous pouvons analogiquement distinguer :
Qu’est-ce donc que la TEXTONIQUE DE LA TERRE ?
La tectonique des plaques a permis le phénomène de la grande oxydation de l’atmosphère puis l’apparition et le maintien de la vie terrestre[26]. En effet, la tectonique stabilise le climat : le cycle du dioxyde de carbone le mène de l’atmosphère au plancher océanique sous forme de carbonate puis, après subduction, il se retrouve émis par les volcans, réchauffant l’atmosphère et maintenant sur de longues périodes géologiques l’eau liquide nécessaire à la vie.
Une textonique de la Terre pourrait-elle avoir un rôle semblable ?
« Ce qui m’intéresse, comme base, écrit White, c’est l’écriture de la terre : articulations géologiques, croissances organiques, mouvements météorologiques — foyers d’énergie, lignes du monde. »[27] Comme Ovide, écrit White dans Le Plateau de l’Albatros, qui est passé des Métamorphoses à un sens des métamorphoses, de la multiplicité des langages et des formes, il faut qu’une œuvre accueille le monde…
comme une sorte d’ÉCRITURE ANATECTIQUE
L’écriture géopoétique de White est transdisciplinaire, pluriculturelle, ontophanique, terraquée, souple, apersonnelle et ouverte. C’est une écriture anatectique — par analogie avec le métamorphisme du même nom qui, sous de fortes conditions de température et de pression, provoque la fusion des éléments de la croûte terrestre. Cette écriture concerne non seulement les faits de culture (artefacts) mais aussi les faits de nature (art naturel). Comme l’a fort bien analysé Muriel Détrie, cette pratique est totale :
« la distinction entre auteur et traducteur n’est pas seulement remise en cause par la pratique citationnelle de White qui ne se préoccupe guère de donner ses sources ou de revenir aux sources originales, elle l’est aussi par sa manière plus générale de s’approprier des textes étrangers venus des cultures les plus diverses, faisant siennes leurs paroles, leur pensée, leur manière de voir ou de dire, en les intégrant à son propre texte. Tous les textes de White sont truffés d’intertextes présents sous toutes les formes possibles (citations on l’a vu, mais aussi références, allusions, emprunts, imitations, réécritures, etc.), des intertextes venus de l’ensemble de la littérature universelle, mais aussi des intertextes et des paroles venus du monde comme affiches, pancartes, enseignes, listes de stations de train, chansons, cris d’animaux ou bruits rendus par des onomatopées, etc. Ces textes ou paroles allogènes sont parfois donnés sous leur forme originale, en écriture non alphabétique et/ou en transcription phonétique, ils sont parfois donnés en traduction, ou en traduction de traduction, ou bien à la fois en version originale et en traduction, mais ils sont souvent aussi si parfaitement intégrés au propre texte de l’auteur qu’on ne peut plus faire le départ entre ce qui est personnel et ce qui vient d’ailleurs, toutes les langues et les discours étant accueillis dans son œuvre, et lui-même s’essayant aussi à pratiquer toutes les langues (et même toutes les écritures puisque des caractères chinois viennent parfois s’immiscer dans les textes en écriture latine[28]) et toutes les sortes de discours ou de langages. » [29]
Dans un article intitulé « L’œuvre complète comme pensée du monde », le philosophe Arnaud Villani considère qu’il y a chez White « une pensée généreuse que nous avons perdue », un « accueil cosmique qui convoque à sa table, aussi grande que le monde, toute chose vive ou inerte, importante ou méprisable, passagère ou durable, pour un partage où chacune est traitée à égalité et vient dire son mot. Que tout dise son mot, c’est cette grande idée que ne cesse d’anticiper et d’annoncer White. Et que les hommes cessent de se croire entre eux.
Il en résulte ceci, que disent les grands poètes et, dans les premiers, Kenneth White : les règnes minéraux, végétaux, animaux ne sont pas de réelles séparations, et les ‘hommes qui savent’ passent de l’un à l’autre et à travers tous. »[30]
De son côté, White explique utiliser « un système extensionnel (multiplicité de moments, pratique de la citation) qui permet non seulement d’étendre la capacité d’expression, mais encore d’aller vers des abstractions de plus en plus hautes sans perdre contact avec la culture mondiale, la matérialité de la terre. »[31] Et il a précisé plus récemment : « La textonique est le contraire du textualisme. Ce dernier concept, ultra-littéraire, veut ramener tout, la Terre entière, au texte. La textonique, au contraire, ouvre l’esprit au ‘texte’ de la Terre. Le grand poète, le grand artiste (tant pis si cela en offusque certains) a toujours un sens extra-ordinaire de l’ordre : un ordre chaotico-cosmique. C’est cela la textonique de la Terre. »[32]
Vous aurez noté combien la géopoétique se démarque du livre-monde présenté en début de conférence.
Je voudrais ajouter, avant de passer à notre dernière partie, que la géopoétique constitue pour la pensée contemporaine un attracteur au sens où son champ réunit l’ensemble des trajectoires épistémologiques ayant pour horizon la réduction de la fracture entre l’homme et le monde.
Pour le dire d’une autre façon encore, l’écriture anatectique de White est le « tu es cela » védique étendu à l’espace-temps de la Terre.
TROISIÈME PARTIE :
UN ACCOMPLISSEMENT DE LA TERRE
√Terre
Dans Le Plateau de l’Albatros, ouvrage qui a posé en 1994 les bases de la géopoétique, Kenneth White exposait le but de cette théorie-pratique : « repenser radicalement le rapport de l’être humain au monde, opérer une véritable transformation culturelle »[33]. Pour cela, il est nécessaire d’opérer, à l’échelle individuelle et collective, un désencombrement que White n’hésite pas à présenter, dans L’Ermitage des brumes (2005), en des termes géologiques : « il faut se travailler, il faut se débarrasser de couches de culture et de sédiments psychologiques. Il faut faire sa généalogie (sa géologie) intellectuelle et morale. »[34] Pour reprendre l’analogie, il faut en effet se débarrasser de ce qui nous encombre — mais, géologiquement parlant, le matériau en question continuera d’exister. Pour que la transformation intervienne, il y faut une métamorphose — mieux : un métamorphisme.
Approchons en ce point de la conférence la PUISSANCE DU RADICAL
Pour être envisageable et effective, une telle transformation doit être radicale. En notre époque de confusion mentale, l’épithète « radical » inquiète et déplaît. La radicalité que nous évoquons n’est pas une fermeture mais une ouverture, elle n’exclut pas : elle accueille. Néanmoins, elle requiert des choix individuels et de société courageux.
Comme il n’est jamais inutile, pour penser avec précision, de revenir à l’étymologie, — voire de pratiquer, comme le dit White dans Le Champ du grand travail, « la paléontologie linguistique » — rappelons que l’adjectif « radical » est en rapport avec la racine, et qu’il « concerne le principe premier, fondamental, qui est à l’origine d’une chose, d’un phénomène », qu’il réfère à « une action décisive sur les causes profondes d’un phénomène », et renvoie à ce qui « va jusqu’au bout de chacune des conséquences impliquées par le choix initial » ; quant au substantif, retenons qu’il désigne la « partie essentielle du mot formé sur une racine, qui sert de base pour la construction d’autres mots ». Nous tenons là une figure, celle du Dehors, celle de la Terre dans son ensemble. Rien n’est plus premier qu’elle, tant au sens temporel que causal, rien ne se fait sans elle. Nous pourrions même ajouter à ces acceptions, celle, mathématique, d’axe radical des cercles, ou « ensemble des points du plan qui ont même puissance par rapport à chacun des cercles », afin de souligner la valeur d’équilibre. Allons encore plus loin et associons les sens mathématique et linguistique : la racine universelle est la Terre, c’est le radical géo. La racine de la racine est notre racine carrée (√), c’est la Terre de la géographie ; notre racine cubique (√3) et notre racine puissance quatre (√4), c’est la géologie dans ses dimensions spatiales et temporelles ; et au-delà de la puissance quatre (√n) nous entrons dans le champ de la géopoétique.
Peut-être semblera-t-il trop radical de repartir de la racine de notre expérience, c’est-à-dire du minéral au sens large, à savoir la Terre — à quoi nous ajoutons l’eau et le vent, qui sont des opérateurs géologiques non négligeables. Il existe une beauté de l’inanimé, du minéral. C’est ainsi que les déserts trouvent leurs amants, à tel point qu’un monde minéral, même extraterrestre, nous émeut : la beauté de Mars ou d’autres planètes du système solaire ne tient à rien d’autre. Et pourtant, combien notre monde terrestre, auquel d’aucuns semblent avoir déjà renoncé, combien la Terre, notre Terre, est à la fois plus belle, plus riche, plus accessible et surtout plus vitale que n’importe lequel de ces astres ! Alors plutôt que de se projeter au-delà, dans une sorte de désespoir qui tient autant de l’abandon au défi technologique qu’à l’inclination pour les arrière-mondes, faisons tout notre possible pour habiter, ici et maintenant et avec la plus grande intensité vitale, l’espace terraqué où nos atomes vont, viennent, s’assemblent et se dispersent depuis quatre milliards d’ans !
Faisons un pas dans le CHAMP DE LA PLUS HAUTE ŒUVRE
A l’occasion d’un entretien sur la notion d’œuvre complète, c’est d’ailleurs bien ce qui ressort des propos de White :
« Le peintre chinois Fan K’uan marchait des journées entières dans la montagne afin de connaître ‘les os de la terre’ et de les transposer dans sa peinture. C’est ainsi que je marchais moi-même dans les Pyrénées, sur les hauteurs de la vallée d’Ossau, autour du Magnabaigt, des plateaux d’Urculu ou d’Okabe, parmi les buses, les faucons et les éperviers, les marie-blanques, les jean-le-blanc et les gypaètes. Il s’agissait là, en somme, exaltation et inspiration en plus, d’orogenèse (la genèse des reliefs) et de tectonique – avec, derrière la tête, la notion d’une sorte de ‘tectonique des textes’, d’orogenèse poétique. L’orogenèse étant l’opérateur continental par excellence, un opus qui aurait pour idée de créer ‘un monde’ devrait pouvoir opérer d’une manière analogue. Le ‘style textonique’ suivrait la topologie des crêtes, les hautes lignes de l’esprit. Et cette poétique orogénétique inclurait aussi la stratigraphie, l’étude des couches sédimentaires (je pensais : couches sédimentaires de culture). Sur le plan formel, la rencontre de forces et de substances hétérogènes pourrait donner lieu à des formes inédites. Si à tout cela on ajoute le système fluvial, on peut avoir l’idée d’une écriture, d’une façon de composer, qui éviterait à la fois le formalisme artificiel rigide (le ‘monument’) et le ‘naturalisme’ logorrhéïque. Un univers, un multivers. »[35]
Ces propos nous rappellent combien la géologie fait partie du « gisement d’origine ». Nous avons déjà longuement abordé cela (sédimentation culturelle, textonique de la Terre, orogenèse poétique). Nous pouvons y voir non seulement l’expression du nomadisme intellectuel constitutif de la géopoétique, mais également une analogie avec le cycle géologique, qui semble être le modèle même de l’œuvre complète, tout à fait compatible avec l’image du système fluvial évoqué par White.
En effet, qu’est-ce que charrient les fleuves sinon le limon arraché aux terres (montagnes, plaines) qu’ils traversent ? Des noms ? L’Orénoque et l’Amazone aux Andes et aux Tepuys ; le Mississipi aux Appalaches et aux Rocheuses ; le Rhin, le Rhône et le Danube aux Alpes ; le Congo et le Zambèze aux cratons africains ; le Gange, l’Indus et le Yangze aux Himalayas ; la Volga à l’Oural ! Et où les fleuves déposent-ils leurs sédiments ? Dans la mer. D’une certaine façon, c’est là que va se jouer la transformation : dans la mer et en montagne. Non seulement la transformation géologique mais aussi la transformation psychique et géopoétique. Montagne et rivage marin, haute montagne et haute mer sont des lieux de transformation psychique pour tout un ensemble de raisons qui ont trait à l’élévation (au-dessus du niveau de la mer, au-dessus du plancher océanique), à l’éloignement (désencombrement), aux changements d’échelles (non humaines, variables) — lesquelles favorisent à la fois la dispersion et la concentration. Du point de vue géologique aussi, et peut-être avant tout, c’est dans les chaînes de montagne et dans l’espace océanique que s’opèrent les plus puissantes transformations.
Nous voilà en vue de PLAQUES & de PICS TEXTONIQUES
Arrivés à ce point de la conférence, vous aurez compris que nous ne manions pas des métaphores et que la géologie et ses opérateurs, comme nous l’annoncions en introduction, entretiennent des analogies profondes avec la culture et plus particulièrement avec la géopoétique. Petit à petit apparaît le rôle d’une géologie au sens large. Une géologie qui s’aventure au-delà de la racine puissance quatre et tend vers se trouve dans une relation à la géopoétique qui n’est ni d’opposition, ni d’inclusion.
Il semblera évident à quiconque connaît l’histoire de la culture qu’il existe des œuvres, nombreuses, majoritaires, qui remplissent l’espace culturel à la façon des sédiments arrachés aux montagnes. Autrement dit, de nombreuses œuvres ne sont constituées, avec un retard souvent conséquent, le temps qu’ils soient charriés, que des débris d’œuvres éminentes. Ces œuvres-là forment des plaines où l’entropie est reine, la dissipation d’énergie se faisant dans la plus grande économie. En amont de ce limon, les sommets atteints par l’esprit humain ; en aval, leurs profondeurs abyssales. Qui ne fréquente que ces plaines ne connaîtra ni les uns ni les autres.
Si l’esprit et la culture ne s’ouvrent pas à la poétique de la Terre, comme le propose la géopoétique, aucune transformation ne pourra intervenir. Tout est préférable au statu quo, mais seules seront vraiment efficaces des œuvres qui se forment à des profondeurs abyssales, à partir d’une énorme quantité de matériau et qui sont mues par une force hors-norme pour atteindre les sommets. C’est le champ de la plus haute œuvre formée à des conditions intellectuelles et existentielles de pression et de température très élevées. Dans le contexte géopoétique, il s’agit, par un contact sensible et intelligent avec la Terre, de produire des œuvres qui portent cette puissance en elles, qui la laissent passer.
Ce métamorphisme de la culture, qui consiste à augmenter les conditions de nomadisme et de géopoétique en leurs multiples éléments, White en parle et y travaille depuis longtemps :
« Le monde, celui dont il est question, celui qui commence à se profiler peut-être (du moins dans quelques esprits), doit être en accord avec la terre, tout en s’en séparant, il doit y prendre son origine, tout en étant autre chose, quelque chose comme l’accomplissement de la terre... »[36]
L’usage anagogique de la géologie permet la mise en évidence du jeu entre la cristallisation et le flux, entre la surface et la profondeur, à la recherche des rythmes et des formes dans le discours et la pratique géopoétiques. Il ne s’agit évidemment pas, comme on a pu s’en rendre compte, de substituer la géologie à toute autre approche. La pensée connaît différents langages qui tous cherchent à exprimer la même réalité — mais elle est une approche privilégiée :
White : « A la fin de toute une série de métamorphoses dans la culture occidentale, au bout de tant de travaux en cours, une nouvelle imago mundi pourra-t-elle se dégager ? »
White : « il y a des géométries qui m’attirent énormément : géométries non pas de structures immuables, mais de mutations, de métamorphoses, de changements au cours du temps, de projections sur des surfaces inédites. »[38]
L’horizon du métamorphisme géopoétique de haut degré est une abstraction vive, une géométrie de l’esprit exaltante, une nouvelle image du monde.
Ces processus ne sont pas qu’analogiques, ils ne sont pas qu’abstraits, notamment chez White et dans la géopoétique : non seulement l’esprit ne pourrait pas en saisir le sens sans connaître ces réalités physiques, mais sans l’expérience dans un corps vivant, le corps-esprit resterait dans l’allégorique. Les processus du flux et de la cristallisation ne peuvent avoir lieu que dans un lieu : celui de la pensée, celui d’un corps situé : une géologie ouverte à de multiples dimensions — la géopoétique, jusqu’au moment où l’esprit ne parvient plus à s’inscrire dans aucun lieu.
Samedi 15 juillet 2023 (Trébeurden)
[1] Première édition en 1994 chez Grasset ; réédition en 2018 chez Le Mot et le reste.
[2] Michel Guérin, A. Leroi-Gourhan ou le primat de la matière in Géopoétique et arts plastiques, 1999, p. 98.
[3] Même chez Fernand Braudel, la temporalité longue, cette histoire presque immobile, ce « temps géographique » dont les fluctuations sont presque imperceptibles, ce temps qui a trait aux rapports de l’homme et du milieu, paraît être tributaire d’un temps géologique court.
[4] Kenneth White, Régis Poulet : « L’Œuvre complète de Kenneth White — entretien avec l’auteur », La Revue des ressources, 17 février 2014, http://www.larevuedesressources.org/l-oeuvre-complete-de-kenneth-white-entretien-avec-l-auteur,2690.html
[5] Kenneth White, Le Lieu et la parole, Cléguer, éditions du Scorff, 1997, p. 102-103.
[6] Kenneth White, Le Champ du grand travail, Entretiens avec Claude Fintz, Didier Devillez, 2002, p. 67.
[7] Fanal, Kenneth White, Février 1982, Club Yvan Goll de St-Dié.
[8] Kenneth White, Régis Poulet : « L’Œuvre complète de Kenneth White — entretien avec l’auteur », art. cit.
[9] Nicolas Abraham, préface à Sándor Ferenczi, Thalassa — psychanalyse des origines de la vie sexuelle, Payot & Rivages, 2002, p. 15.
[10] André Leroi-Gourhan, L’homme et la matière, Paris, Albin Michel, 1943, 2e édition 1971, p. 19.
[11] Michel Guérin, A. Leroi-Gourhan ou le primat de la matière, op.cit. p. 102.
[12] Kenneth White, « Le Manifeste chaoticiste », in Atlantica, Grasset, Paris, 1986, p. 177.
[13] Kenneth White, La Figure du dehors, Marseille, Le Mot et le reste, 2014, p. 53.
[14] Kenneth White, Le Champ du grand travail — Entretiens avec Claude Fintz, Didier Devillez Éditeur, 2002, p. 128.
[15] Kenneth White, Investigations dans l’espace nomade, Isolato, 2014, p. 21.
[16] Ibid. p. 60.
[17] Ibid. p. 55.
[18] Vincent Fleury, De l’œuf à l’éternité — Le sens de l’évolution, Flammarion, 2006, p. 205.
[19] Marie-Claude White, « Art naturel ou artefact », in Géopoétique et arts plastiques, Publications de l’Université de Provence, 1999, pp. 117-124.
[20] Ibid., p. 263.
[21] Marie-Claude White, art. cit., p. 122.
[22] Chez White, l’énorme recouvre à la fois l’immense et le hors-norme ; c’est-à-dire qu’il s’agit notamment, dans la géopoétique, d’utiliser un savoir encyclopédique et de sortir des normes non tant pour trouver de nouveaux repères que pour ouvrir des champs d’énergie.
[23] Kenneth White, Les Limbes incandescents, Denoël, 1976, p. 76.
[24] Néologisme de White dans lequel on peut lire une négation de l’Arcadie et la recherche d’un ordre anarchique, un ordre supérieur : un chaosmos par exemple.
[25] Discours prononcé par Kenneth White à la 28e Assemblée générale de l’Institut international de géopoétique, le 26 octobre 2016.
[26] En effet, la tectonique stabilise le climat : le cycle du dioxyde de carbone le mène de l’atmosphère au plancher océanique sous forme de carbonate puis, après subduction, il se retrouve émis par les volcans, réchauffant l’atmosphère et maintenant sur de longues périodes géologiques l’eau liquide nécessaire à la vie.
[27] Kenneth White, Le Champ du grand travail, Didier Devillez Éditeur, 2002, p. 16.
[28] Voir par exemple Les Cygnes sauvages, 1990, p. 69 (note de l’auteure).
[29] Muriel Détrie, « L’identité mouvante des œuvres littéraires de Kenneth White », TRANS- [En ligne], | 2017, mis en ligne le 29 septembre 2017, consulté le 29 novembre 2017. URL : http://trans.revues.org/1657 ; DOI : 10.4000/trans.1657
[30] Arnaud Villani, « L’œuvre complète comme pensée du monde », Europe, Kenneth White, Juin-Juillet 2010, pp. 247-8.
[31] Kenneth White, Le Plateau de l’Albatros, op. cit., p. 40.
[32] Kenneth White, Panorama géopoétique, ERR, 2014, p. 108.
[33] Kenneth White, Le Plateau de l’Albatros, op. cit., p. 38.
[34] Kenneth White, L’Ermitage des brumes, Dervy livres, 2005, p. 88.
[35] Kenneth White & Régis Poulet, « L’œuvre complète de Kenneth White », 17 février 2014, La Revue des ressources, http://www.larevuedesressources.org/l-oeuvre-complete-de-kenneth-white-entretien-avec-l-auteur,2690.html
[36] Kenneth White, Le Plateau de l’Albatros, op. cit., p. 71.
[37] Kenneth White, « Mandelstam », Le Passage extérieur, op. cit., p. 59.
[38] Kenneth White, Le Plateau de l’albatros, pp. 71 & 41.