Textes fondateurs de la géopoétique


1. COSMOLOGIE CHAOTICISTE

 
« A chacune des époques du monde qui se distinguent par une haute activité, écrit A.N. Whitehead dans Adventures of Ideas, on peut trouver en son point culminant une pensée profondément cosmologique, acceptée implicitement et qui marque de son caractère particulier les motivations humaines du moment. »

Si l’on veut bien admettre que notre époque connaît au moins quelques champs de « haute activité », on peut se demander quelle est la pensée cosmologique qui est « dans l’air » et qui prédétermine l’espace mental.

Dans ses études sur la révolution et la crise spirituelles du XVIIe siècle (Etudes galiléennes, Du monde clos à l’univers infini), Alexandre Koyré ramène les changements produits alors dans la conception du monde à deux éléments principaux : la destruction du Cosmos et la géométrisation de l’espace. Cette cosmologie nouvelle remplaça le monde géocentrique des Grecs (le kosmos) et le monde anthropocentriquement structuré du Moyen Age, par l’univers décentré qui est celui de la modernité. Les conséquences de cette transformation fondamentale furent multiples : le déplacement de l’esprit de la contemplation et de la philosophie téléologique à la prise de possession mécaniste de la nature ; l’essor du subjectivisme moderne, l’homme ayant l’impression d’avoir perdu son monde. Le poète de la crise, c’est John Donne, esprit à la fois brusque et subtil, aux sens métaphysiques et géographiques aigus (« tout est éparpillé, toute cohérence en allée »). L’écrivain exemplaire de la nouvelle époque, nageant sceptiquement dans les eaux de sa (docte) ignorance, jouissant, malgré tout, des divagations de son moi flottant, c’est Montaigne.

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1.


J’habite une vieille maison de pierre - granit et schiste - sur la côte nord de la péninsule armoricaine. Cette maison consiste en trois bâtiments. C’est dans celui qui fut autrefois, en bas, l’étable, en haut, la grange, qu’est installé depuis dix ans ce que j’aime appeler l’atelier atlantique, ou l’atelier géopoétique. C’est là que je poursuis mes méditations, c’est là que j’élabore mes méthodes.

J’ai senti le besoin de camper un lieu, et de parler de l’habitation de ce lieu, avant de parler d’une œuvre.

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1. Géopoétique et géopolitique

Le terme de géopolitique, d’origine allemande, est un néologisme des années trente. C’est cette année-là que Jacques Ancel, professeur de géographie politique à l’Institut des hautes études internationales de l’université de Paris, l’introduisit en France. Il l’employa comme titre d’un « essai doctrinal de géographie politique », qui comporte trois grandes parties : Les Méthodes (« Géographie allemande ou géographie française ? »), Les Cadres (« La frontière dans le temps, la frontière dans l’espace »), La Nation (« Principe territorial, principe psychologique ? »). En bon styliste français, il s’excuse de « ce pédantisme », mais il ne voulait pas laisser accaparer par « le faux-semblant de la science allemande » un terme aussi potentiellement porteur. Outre-Rhin, c’est sur le concept de Geopolitik, une invention de « professeurs allemands », que le national-socialisme hitlérien était en train de se baser, de manière grossièrement simpliste et propagandiste : la Zeitschrift für Geopolitik fut lancée par Haushofer vers 1926. Il fallait donner à ce terme, qui allait devenir intellectuellement prépondérant et potentiellement néfaste, plus de précision, et d’autres perspectives. Et il fallait, pour la France, s’avancer sur ce terrain mouvant. C’est que jusqu’alors, la France restait plutôt repliée sur elle-même, sur son identité. Sa science géographique, aussi fine et analytique fût-elle, était interne et statique. Il lui fallait dorénavant s’ouvrir à un espace externe, dynamique, mais sans rien perdre de ses qualités représentées éminemment aux yeux d’Ancel par la géographie humaine de Vidal de La Blache telle qu’elle fut exposée dans ses Principes de géographie humaine en 1922.

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