1. COSMOLOGIE CHAOTICISTE
« A chacune des époques du monde qui se distinguent par une haute activité, écrit A.N. Whitehead dans Adventures of Ideas, on peut trouver en son point culminant une pensée profondément cosmologique, acceptée implicitement et qui marque de son caractère particulier les motivations humaines du moment. »
Si l’on veut bien admettre que notre époque connaît au moins quelques champs de « haute activité », on peut se demander quelle est la pensée cosmologique qui est « dans l’air » et qui prédétermine l’espace mental.
Dans ses études sur la révolution et la crise spirituelles du XVIIe siècle (Etudes galiléennes, Du monde clos à l’univers infini), Alexandre Koyré ramène les changements produits alors dans la conception du monde à deux éléments principaux : la destruction du Cosmos et la géométrisation de l’espace. Cette cosmologie nouvelle remplaça le monde géocentrique des Grecs (le kosmos) et le monde anthropocentriquement structuré du Moyen Age, par l’univers décentré qui est celui de la modernité. Les conséquences de cette transformation fondamentale furent multiples : le déplacement de l’esprit de la contemplation et de la philosophie téléologique à la prise de possession mécaniste de la nature ; l’essor du subjectivisme moderne, l’homme ayant l’impression d’avoir perdu son monde. Le poète de la crise, c’est John Donne, esprit à la fois brusque et subtil, aux sens métaphysiques et géographiques aigus (« tout est éparpillé, toute cohérence en allée »). L’écrivain exemplaire de la nouvelle époque, nageant sceptiquement dans les eaux de sa (docte) ignorance, jouissant, malgré tout, des divagations de son moi flottant, c’est Montaigne.